La crêpière et la disparition de l’Église

La crêpière vient de quitter son « billig », plaque sur laquelle elle préparait les crêpes. Elle rejoint la salle pour saluer les derniers clients. Une question anodine engage un échange surprenant : « Connaissez-vous tel prêtre ? » demande l’un d’entre nous. Tout de go, la crêpière répond : « Je ne suis pas de ce bord là... Je ne le connais pas. » Elle poursuit en disant : « J’ai échappé au catéchisme... l’Eglise aujourd’hui disparaît... Il n’y a plus personne... On ne sait même pas s’il y a encore des curés... Si je dois aller à l’église pour une cérémonie, je fais comme tout le monde, je m’assois et me lève quand il faut ! »

Avec une grande assurance dans l’expression, elle nous apprend que sa mère était une institutrice laïque, restée ferme dans ses convictions laïques. Ses enfants témoignent de cette tradition en pays breton, où l’affrontement entre la calotte et l’instituteur a été de mise pendant des décennies. « Ça s’estompe quelque peu toutefois », rajoute la crêpière, « je vois ça avec ma sœur qui est enseignante. »

Cette conversation, en toute franchise, nous ouvre à un monde bien loin de l’Eglise. La crêpière, très certainement, n’aurait pas tenu de tels propos si j’avais affiché mon identité de prêtre. Premier enseignement qui nous éclaire sur nos manières d’instaurer des relations humaines franches.

Ne faut-il pas s’interroger aussi, sur ce qui a marqué et qui marque encore ici ou là, des relations de villages ? Originaire de cette région de Bretagne, la personne qui avait posé la question initiale, évoquait le refus d’un prêtre, il y a quelques années, de voir son oncle mourant parce qu’il avait mis ses enfants à l’école publique. Tout cela peut être vu comme des histoires du passé, sans intérêt pour des contemporains qui ont fait un tel pas dans la sécularisation de la société, qu’ils ne comprennent même pas ces réactions.

Et quand la crêpière parle de la disparition de l’Eglise... elle est sincère. Elle ne voit plus de signes de son existence tant est grande sa distance entre sa vision très cléricale de l’Eglise et celle qu’en donnent les chrétiens aujourd’hui en y vivant des responsabilités diverses. À la question : « Pourquoi les gens sont-ils loin de l’Eglise ? » doit se substituer : « Pourquoi l’Eglise est-elle loin des gens ? » Invitation à se déplacer, à s’intéresser non seulement à la qualité des crêpes mais aussi à cette femme qui nous dit ses convictions et son regard sur l’Eglise et le monde. Elle s’applique à faire goûter de bons moments de convivialité à ses hôtes . À sa manière, elle construit la fraternité. Guy Coq écrit : « Dis-moi l’homme que tu sers ; je te dirai quel est ton Dieu. »

La crêpière resterait peut-être sourde à cette proposition. Notre rencontre chez elle a pris de la hauteur, hauteur pour voir plus loin l’enjeu de nos tâches humaines et non pour raviver une bataille de clochers.

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Michel AMALRIC

Prêtre du diocèse d’Albi, chargé de la communication.

Publié: 01/02/2012