Et si tu te faisais carmélite ?

Isa, c’est une riche idée, ce serait merveilleux si tu entrais au Carmel, mais, voilà, hélas, tu n’as pas la vocation. Et pourtant, si tu savais comme l’histoire du Carmel est belle, tu réfléchirais à deux fois avant de dire "non".

Sais-tu pourquoi je te parle du Carmel, c’est parce que, aujourd’hui, j’ai été voir non seulement la Prieure du Carmel à Bonne Terre, sœur Agathe, - et nous avons bavardé pendant presque deux heures - mais j’ai vu aussi Père Marian Tiziano, responsable de la paroisse St-Paul à Phoenix.

Commençons par ma visite au Père Tiziano. Ce prêtre, un Italien comme son nom l’indique, est grand, bien bâti, et, dans ses yeux bleus brille, ardente, la flamme que Dieu allume dans les yeux et le cœur de ceux qu’il appelle à être missionnaires.

Aux questions que je lui pose, Père Tiziano répond avec une certaine émotion et avec une pudeur certaine. Il me parle de sa vocation, de sa foi. Il entendit l’appel de Dieu dès l’âge de 5 ans ; oui à cinq ans, il rêvait d’être prêtre et missionnaire et, à l’âge de 11 ans, il entra au séminaire. Pour différentes raisons, il devint d’abord Frère de l’Ordre du Carmel. A cette époque, si on avait été "frère carme", on ne pouvait accéder à la prêtrise. C’est donc, en tant que Frère qu’il enseigna la catéchèse à Madagascar et remplit avec foi et soumission les tâches qui lui étaient confiées en brousse ou ailleurs.

Mais un jour, son supérieur lui dit - et Père Tiziano s’en souvient comme si c’était hier : "Le Supérieur me coupait les cheveux quand, tout simplement, il m’annonça que son supérieur à Rome avait recommandé que, moi, Frère Tiziano, je commence des études en vue de devenir prêtre. Rome avait accepté la demande que le Supérieur, à mon insu, lui avait faite. Quand le Supérieur me le dit, j’ai poussé un grand cri de joie, de grands cris de joie, et puis je me suis mis à pleurer." Père Tiziano revit cette minute avec émotion. Ses yeux brillent. Sa voix s’étrangle. Ses mots s’enflamment. Il fut ordonné prêtre carme à Madagascar en 1971. Il avait 31 ans.

A Phoenix, Père Tiziano est aidé par deux autres carmes, dont un Mauricien, Jean Claude. Les deux, malheureusement, seront absents du pays pendant quelque temps. Père Tiziano administrera seul la paroisse en leur absence

Je l’interroge au sujet de la vie qu’il mène. Peut-il cumuler sans trop de peine ses obligations de curé de paroisse et sa vie spirituelle de carme ? Père Tiziano me parle de son œuvre de prêtre missionnaire à Maurice, il me raconte comment il arrive à combiner ses responsabilités en tant que curé de paroisse avec sa vie spirituelle de prêtre missionnaire et surtout avec les exigences de la Règle du Carmel. Il est très pris par la paroisse et n’a pas beaucoup de temps libre malgré l’écriteau qui limite les heures de visite, mais il aime le travail qu’il accomplit chez nous. Quand il n’est pas de service à la paroisse, il entre dans sa cellule et il y vit sa vie de carme dans un esprit de prière et d’adoration, dans le silence et le recueillement.

Et les yeux de Père Taziano regardent au loin, l’esprit perdu dans un rêve de quelques minutes. Il ajoute, tout simplement : "Je suis un prêtre missionnaire heureux."

Avant de partir et pendant que nous bavardons, juste avant de nous séparer, je regarde ses yeux. Oui, Père Tiziano, vous êtes un homme comblé. Vos yeux sont remplis de rêve. La joie, une joie profonde, mystérieuse se lit dans vos yeux. Oui, la voie que vous aviez choisie à 5 ans c’est celle qui devait être vôtre. Vous avez vraiment fait vôtre ce cri du prophète Elie, guide des carmes : "Je brûle de zèle pour le Seigneur, Dieu de l’univers." ()

Mais revenons à ma visite au Carmel. Une de mes anciennes élèves vient m’ouvrir. Sœur Jacqueline est devant moi avec son large sourire. Oui, notre curé avait raison : quand la porte du Carmel s’ouvre et qu’une carmélite vous accueille, son chaud sourire vous fait oublier soucis et problèmes. Au Carmel, je me sens chez moi ; aussi quand Sœur Agathe arrive, nous tombons dans les bras l’une de l’autre.

Sœur Agathe est toute petite, toute menue, toute rose d’émotion et, je pense, du plaisir de me voir. Elle me fait asseoir et, pendant presque deux heures, nous parlons à bâtons rompus. De quoi parlons-nous ? Nous bavardons de tout, de la vie au Couvent, de l’atmosphère qui y règne. Moi, je croyais que les carmélites ne se parlaient jamais, qu’elles vivaient comme murées dans le silence, ombres silencieuses glissant furtivement "comme des fantômes" dans les couloirs du Couvent, les yeux baissés et plongées dans la prière. Eh bien, non, elles ont, je dirais, une vie comme tout le monde : elles vont à la messe, prient, travaillent, et ont même droit à deux périodes de récréation au cours desquels elles bavardent, bavardent.

Les carmélites se lèvent pour les Laudes à 6 heures, assistent à la messe de 6:30 heures, prennent leur petit déjeuner et se plongent ensuite dans une heure d’oraison silencieuse. Puis à 8:05 heures, c’est Tierce. Et à ma demande, sœur Agathe m’explique que Laudes, Tierce ou Vêpres, c’est la lecture ou le chant de certaines parties du bréviaire. Et puis elles se mettent au travail.

Je suis curieuse et questionne. Les carmélites sont-elles obligées de travailler ou travaillent-elles pour leur plaisir ? Non, me dit sœur Agathe. Autrefois les carmélites pouvaient s’adonner à des travaux non rémunérés mais, actuellement, elles doivent gagner leur vie car le Carmel ne reçoit pas autant de dons qu’autrefois, c’est ainsi que certaines jardinent, sont de garde à la procure, vendent des livres dont des livres sur le Carmel, alors que d’autres préparent et décorent très artistiquement bougies, cierges et tableaux muraux, brodent et cousent des étoles, des chasubles. Cela, je le savais car, en ce moment, elles préparent pour la future église de Flic-en-Flac une chasuble et deux étoles que les paroissiens de Flic-en-Flac et des villages environnants leur ont commandées pour le cardinal Margéot.

Mais poursuivons cette tournée de la vie au Carmel : sœur Agathe précise qu’en général, chacune a un lieu de travail où elle est seule. Les carmélites déjeunent en silence pendant qu’une religieuse lit une lecture au réfectoire, les informations ou s’occupent de diverses façons mais toujours en silence... un silence qui prie. Puis, c’est 15 minutes de récréation où elles peuvent bavarder, rire, chanter. Elles ont ensuite droit à une heure de lecture spirituelle en cellule. A 16:30 heures, ce sont, pendant une demi-heure, les Vêpres puis elles ont droit à une heure de tête-à-tête avec Dieu, une heure d’oraison, et enfin le repas du soir est pris à 18 heures et elles ont une seconde récréation jusqu’à 20 heures. Enfin, retour à la chapelle pour la prière du soir et le chapelet. Vers 22 heures, c’est le repos et chacune peut, seule dans le silence de sa cellule, prier, adorer et louer Dieu ou tout simplement dormir après une journée bien remplie.

Mais quelles sont les pensées d’une carmélite ? Coupées du monde, vivant d’une vie de prière et de travail, que peut ressentir une carmélite entre les quatre murs de sa cellule ou ceux du Couvent ? La carmélite vit une vie de foi. La prière est la force du Carmel. La prière remplit la vie des carmélites et des carmes.. Même au cœur de ses occupations, la carmélite vie une vie toute tournée vers Dieu et vers Marie.

Pendant que sœur Agathe parle, je me remémore quelques vers d’un poème écrit par Edith Stein s’adressant à la Vierge à laquelle sont dédiés tous les carmes et toutes les carmélites : "Marie, aujourd’hui je suis restée avec toi sous la croix et jamais encore je n’ai ressenti aussi nettement que c’est sous la croix que tu es devenue notre mère. [...] Ceux que tu as choisis pour te suivre, ceux-là doivent rester avec toi sous la croix. C’est avec le sang de leurs souffrances qu’ils doivent acheter la splendeur céleste des âmes précieuses que le Fils de Dieu leur a confiées en héritage."

J’interroge : "Les souffrances ! Quelles peuvent être les souffrances d’une carmélite ?" Et sœur Agathe me dit : "Nous souffrons comme tout le monde de divers maux, nous souffrons de la souffrance du monde, du manque de foi et des conflits qui agitent l’Eglise et les nations. Nous sommes en contact avec ce monde. Nous prions et intercédons pour lui - le Carmel est missionnaire - mais notre grande souffrance, je crois, c’est que nous ignorons le fruit de nos prières, de nos sacrifices." Oui, la vie des carmélites est une vie de prière au cours de laquelle, elles prient, souffrent et intercèdent pour le monde. La vie du Carmel bien vécue est le meilleur moyen de parvenir au détachement de soi et par là même d’être présente au monde entier par la prière.

En sortant, je passe à la Procure et en profite pour acheter des livres : ils me parlent de la vie d’Elisabeth de la Trinité morte à 26 ans et que l’Eglise a béatifiée en 1984 ; celle d’Edith Stein, juive, carmélite, que les soldats nazis vinrent retirer de sa cellule le 2 août 1942 pour la conduire, elle et sa sœur, carmélite séculière elle aussi, les 7 et 8 août, au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau (Pologne) où presque immédiatement après leur arrivée, Edith et sa sœur furent gazées. Jean Paul II disait d’Edith : "Juive, philosophe, religieuse et martyre unie au Christ crucifié, elle a donné sa vie pour la vraie paix et pour le peuple. Dans le camp de concentration, elle est morte comme fille d’Israël, pour la sanctification du Nom."

Et ces quelques noms m’en rappellent d’autres : St Jean de la Croix, Ste Thérèse d’Avila, Ste Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, toutes figures de lumière au sein du Carmel. Le Père Tiziano m’avait dit avec fierté : "Environ 40 carmes et carmélites sont sur la liste des futurs béatifiés et des futurs saints", car au Carmel, l’esprit est vivant et ne meurt pas.

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M.J. Arlette ORIAN

Ancienne directrice d’une école de secrétariat à l’île Maurice

Publié: 01/04/2022