Le pape François et le droit canon

Les réformes juridiques adoptées par le pape François depuis son élection en 2013 sont nombreuses et portent sur des sujets très différents. Avec plus d’une cinquantaine de textes majeurs modifiant le droit de l’Église, l’activité canonique du chef de l’Église catholique est bien plus importante que celle de son prédécesseur Benoît XVI.
Le pape François ne pensait pas s’occuper du droit canon au début de son pontificat. Il a été contraint de le faire pour pouvoir réaliser les deux axes principaux de son pontificat : redonner à l’Église catholique un nouvel élan, et réformer les structures de l’Église.

Une activité intense

Parmi les nombreuses normes adoptées sous la signature du pape actuel, trente-cinq textes portent sur la réorganisation du Saint-Siège et de ses institutions. Six textes particulièrement importants modifient le droit de l’Église incluant la réforme sur les déclarations de nullité de mariage, le droit pénal canonique, la réforme de la curie, l’accès aux rites antérieurs à Vatican II, la vie religieuse, et la synodalité.

Concernant les questions matrimoniales, une réforme importante a été mise en place en 2015 avec le texte Miti iudex pour faire face aux 100.000 déclarations de nullité de mariage par an. Le pape a insisté sur la nécessité d’accélérer le temps de traitement des affaires, rappelé le principe de la gratuité des procédures canoniques, et renforcé le rôle de l’évêque, ce dernier étant dorénavant le juge des affaires qui ne présentent pas de difficulté particulière.

Au sujet des abus sexuels au sein de l’Église, le pape a poussé encore plus loin la « réanimation » du droit pénal canonique initié par ses deux prédécesseurs. Les réformes mises en place incluent une meilleure protection des personnes qui dénoncent des abus sexuels (équivalent à des lanceurs d’alerte), l’application du droit pénal canonique aux laïcs qui effectuent des missions au service de l’Église, une plus grande prise en compte du statut de la victime, ou encore la possibilité de sanctionner les évêques qui n’ont pas informé les autorités compétentes dans le cadre d’affaires d’abus sexuels.

Un autre sujet majeur du pontificat du pape François est la « synodalité ». Certains canonistes nord-américains avaient appelé depuis longtemps à une meilleure participation de l’ensemble des fidèles à l’élaboration du droit canonique lui-même. Le chemin synodal auquel convie le pape ne se borne évidemment pas à la réforme du droit, mais bien plus fondamentalement à susciter en Église un cheminement commun à l’écoute de l’Esprit. Loin de tout parlementarisme, la démarche synodale n’en suppose pas moins de prendre au sérieux un certain style d’action et d’écoute : tout un cadre qui conduira à repenser le rôle du droit, peut-être, comme Monsieur Jourdain de Molière, sans le savoir.

Le professeur de droit et canoniste Louis-Léon Christians (Université catholique de Louvain) note ainsi un double mouvement qui se dessine avec d’un côté le renforcement de la centralisation romaine comprenant la captation des affaires liées au droit pénal canonique (concernant les affaires d’abus sexuels), les questions liturgiques, et la gestion des difficultés dans les communautés religieuses.) Et d’un autre côté, une décentralisation accrue en renvoyant à l’évêque du lieu le contentieux matrimonial ou encore une partie des procédures concernant les procès en béatifications et en canonisations.

La vision du pape François

L’analyse des différents textes et discours prononcés par le pape François montre la volonté de l’Église de remodeler un droit canon en le rendant plus efficace et en le mettant au service de l’évangélisation.

Ainsi, le pape est bien conscient qu’à première vue, le droit canon est « rigide » et « manque de vie ». Cependant, il souligne la nécessité « de réacquérir et d’approfondir le véritable sens du droit dans l’Église » tout en rappelant que « la règle juridique a un rôle nécessaire mais subordonné et au service » de l’évangélisation.

Il rappelle l’importance des sanctions qui doivent être pleinement appliquées aux personnes ayant commis des fautes ou ayant eu des comportements repréhensibles. Il précise ainsi que « la charité exige que les pasteurs aient recours au système pénal aussi souvent que nécessaire » tout en tenant compte des trois fins utiles lorsqu’un coupable est jugé, à savoir « le rétablissement des exigences de la justice, l’amendement du coupable, et la réparation des scandales ».

Le pape François s’adresse également aux personnes engagées dans le ministère de la justice ecclésiale en leur rappelant l’importance de leur mission et d’exercer leurs fonctions respectives « en tenant le regard fixé sur l’icône du Bon Pasteur, qui se penche vers la brebis égarée et blessée ».

Suivant le professeur Christians, on peut ainsi noter la constitution d’un magistère du pape François qui s’est constitué au gré de ses discours suivant lequel le pape renoue avec l’importance du droit canon dans la vie de l’Église, de son efficience, d’un sentiment de protection par la justice canonique, tout en s’éloignant d’une vision mécanique des normes de l’Église.

Il convient de rappeler que le droit canon ne s’est jamais érigé en condition du salut pour le chrétien. Le droit est certes un outil au service du salut des âmes. Il inscrit au cœur de la vie ecclésiale qu’il existe des « lignes rouges » à ne pas franchir, des abus à ne pas ignorer. Il constitue ainsi une sorte de « garde-fou » avec un rôle et un sens particulièrement important dans les propos du pape François.


Qu’est-ce le droit canonique ?
Il s’agit de l’ensemble des règles qui régissent la vie de l’Église catholique. Il inclut notamment le Code de droit canonique de 1983 qui est actuellement en vigueur dans l’Église. Il comporte sept livres qui traitent de la structure et du fonctionnement de l’Église, des sacrements, des biens temporels, des sanctions pénales ou encore des tribunaux ecclésiastiques.

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William Lindsay SIMPSON

Président de la Conférence Saint Yves, l’association des avocats et des juristes catholiques au Luxembourg.

Publié: 01/01/2024