Les chrétiens face aux commandements de Dieu

Quelle est l’actualité de la Loi des dix paroles (le "Décalogue") que l’on lit au chapitre 20 du livre de l’Exode et au chapitre 5 du livre du Deutéronome ? Jésus lui-même répond à la question : qu’on se reporte au chapitre 5 de l’évangile selon saint Matthieu () !

Il est possible de faire 6 observations :

1. Ce n’est pas la Loi qui est première, c’est l’Alliance !

Ce qui est premier, c’est le don que Dieu fait de son alliance... d’où le verset qui sert de préface à l’énumération des conditions de l’Alliance : "C’est moi le Seigneur, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte où tu étais esclave."

En intervenant dans l’histoire de son peuple, Dieu lui prouve son amour. Du coup, le peuple ne pourra plus vivre n’importe comment, s’il est vrai qu’on ne vit pas n’importe comment avec celui qu’on aime !

Le chrétien lui-même ne se définit pas par une conduite morale - fût-elle irréprochable - mais par son lien personnel à Jésus Christ. Au commencement était l’amour ; ensuite vint la morale !

2. Les commandements : un minimum vital dont on ne peut se contenter !

Comme garde-fous, les commandements de l’ancienne Alliance sont bien utiles. Ils indiquent comme un minimum vital, ce sans quoi on peut se demander si on est encore dans l’Alliance ! Mais, avant même Jésus, les prophètes dénonçaient la ridicule prétention à se croire “en règle” avec Dieu : on n’en est jamais quitte avec l’amour !

Avec Jérémie, il s’agit d’intérioriser la loi : "Voici venir des jours - oracle du Seigneur - où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une Alliance Nouvelle (...) Je mettrai ma loi au-dedans d’eux et sur leur cœur je l’écrirai ; alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple." ()

Pour Ezéchiel, ce n’est plus seulement la position de la loi par rapport à l’homme qui sera changée, mais c’est l’homme lui-même qui sera changé dans ce qu’il a de plus profond, son “cœur”, son “esprit” : "Je vous donnerai un cœur nouveau et c’est un esprit nouveau que je mettrai au-dedans de vous ; j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon Esprit au-dedans de vous et je ferai que vous marchiez suivant mes décrets et que vous observiez et exécutiez mes règles." ()

Mais c’est surtout la relecture de la loi par Jésus qui souligne à quel point on ne peut s’en tenir à ces seuls commandements : cf. , , ... etc.

3. Les commandements : des repères plutôt que des consignes qu’il n’y aurait qu’à appliquer à la lettre !

Ce que Jésus reproche si fortement aux Pharisiens, c’est précisément de pervertir l’esprit de la loi en en utilisant la lettre quand et comme ça les arrange ! Les commandements ne dispensent pas le croyant d’un travail de discernement pour savoir, dans telle situation concrète, ce que Dieu attend de lui. S’il s’agissait de préceptes dont la lettre serait à appliquer toujours et partout sans réfléchir, Jésus lui-même ne les respecterait pas ! (cf. et ) ("sépulcres blanchis" est un compliment qui vaut bien "fous" !) ou encore ( et )

4. Les commandements : des paroles pour faire vivre !

De même qu’il avait fallu, dans le premier récit de la création dans la Genèse, dix paroles divines pour créer le monde (l’expression "Dieu dit" revient en effet dix fois dans le récit), de même il faut ces dix autres paroles divines pour créer et constituer le peuple de l’Alliance ! Dans la création du monde, il s’agissait de mettre de l’ordre dans le chaos primordial ; avec la loi donnée à Moïse, il s’agit de mettre de l’ordre dans la vie du peuple et de permettre à chacun de structurer sa propre existence.

Ainsi comprise, la loi n’a pas pour but d’enfermer l’homme, mais au contraire de l’aider à grandir et à construire sa liberté : "Le sabbat est fait pour l’homme, non l’homme pour le sabbat !" ()

5. Les commandements : de quoi éclairer notre conscience lorsqu’elle risque de se laisser obscurcir !

La norme a au moins l’avantage d’être objective ! Même si elle nous dérange - surtout si elle nous dérange, la loi questionne nos pratiques, nous amenant parfois à vérifier ce qui motive réellement nos comportements.

Le commandement, aussi clairement formulé soit-il, ne résout rien à ma place, mais il m’avertit lorsque je franchis des frontières dangereuses.

Ainsi, par exemple, face aux déroutantes transformations de l’être humain, la tentation est de dire un peu vite : "La vie de cet embryon n’est pas encore vraiment humaine" et d’en conclure à la légitimité de l’avortement, ou bien : "La vie de ce grabataire est trop végétative pour être encore vraiment humaine" et de réclamer un droit à l’euthanasie. Le commandement : "Tu n’assassineras pas !" m’oblige à bien réfléchir à ce qui motive mes choix sur un sujet aussi grave

A en croire Jésus, c’est d’ailleurs la Parole de Dieu (entendue plus largement que les seuls commandements, il est vrai !) et elle seule qui nous permet de démasquer en nous le péché.

6. En soulignant notre impuissance radicale à le réaliser, l’unique commandement de l’amour nous oblige à nous ouvrir à la grâce de Dieu !

S’il s’agit désormais d’aimer comme Jésus, nous sommes bien obligés de capituler devant les exigences d’un tel amour, dès lors que nous constatons notre impuissance à les réaliser. Ne pouvant plus compter sur notre seule volonté, il nous faut faire l’expérience à la fois inquiétante et décapante des disciples qui s’écriaient : "Mais alors, qui peut être sauvé ?" () et n’attendre que de Dieu notre conversion. Libérés de notre prétention à réaliser la norme, nous avons paradoxalement un peu plus de chances de nous en approcher... avec la grâce et la patience de Dieu !

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Info

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juin 1996

Philippe LOUVEAU

Prêtre du diocèse de Créteil, ancien équipier de PSN.
Curé doyen de la paroisse Saint-Georges à Villeneuve-Saint-Georges.

Publié: 01/01/2016