L’accueil de l’étranger

La réponse des Églises à un problème de société

Parler des phénomènes migratoires comme d’une chance pour la famille humaine qui souligne ainsi son unité - ainsi qu’on pouvait le faire à l’époque du concile Vatican II - devient plus difficile aujourd’hui. La crise qui sévit aussi bien dans les pays de départ que dans les pays d’arrivée des migrants rend leur accueil nettement moins évident. Le statut de réfugié est d’ailleurs de plus en plus difficilement accordé et le nombre d’étrangers vivant en marge de la loi ne cesse d’augmenter. Dans un tel contexte, quelle peut être la parole des Eglises ?

Un problème difficile qui ne laisse pas indifférentes les Eglises !

Depuis la Constitution apostolique Exsul familia (1952) jusqu’aux vives réactions d’un certain nombre d’évêques et du pape Benoît XVI face à la politique menée en France contre les Roms, en passant par les vigoureux messages du pape Jean-Paul II pour la Journée mondiale des Migrants, le Motu proprio de Paul VI Pastoralis migratorum cura (1969), ou encore les nombreux communiqués tel celui sur les étrangers en situation illégale clôturant un colloque des délégués de la Pastorale des migrants de vingt pays d’Europe (octobre 1994), ou encore le document Un peuple en devenir : l’Eglise et les migrants émanant en France du Comité épiscopal des migrations (janvier 1995), nombreuses ont été et sont encore les interventions de l’Église catholique sur cette délicate question des flux migratoires (on trouvera une sélection de certains de ces textes dans le numéro hors série de La Documentation Catholique de février 1996).

De leur côté, les Églises protestantes n’étaient pas en reste, ainsi qu’en témoignait la déclaration du Conseil œcuménique des Eglises, intitulée "Un choix à faire : Prendre le risque de la solidarité avec les personnes déracinées" (septembre 1995).

On se souvient par ailleurs de ‘l’Appel à vivre ensemble’ rendu public en juin 1995 dans le cadre de la campagne œcuménique “Accueillir l’étranger”, placée sous l’égide du Conseil des Eglises Chrétiennes en France.

Le ton de ces documents se veut modeste, tant les questions abordées sont complexes : par exemple, comment concilier le droit universel d’immigrer, reconnu à tout homme, et le droit des Etats à réguler les flux migratoires en fonction de leur conjoncture intérieure, tant au plan des législations nationales qu’au plan des institutions internationales et en particulier européennes ? Ou encore, comment concilier l’impératif d’intervenir en toute situation d’atteinte à la dignité de la personne humaine avec la loi positive qui interdit d’aider toute personne à se maintenir illégalement sur le sol national ?

Il est légitime que, sur une question aussi complexe, faisant intervenir des facteurs aussi divers, les chrétiens puissent avoir des opinions différentes, en fonction de leur sensibilité et de leur choix politique. Il est aussi aisé de comprendre que, selon leur lieu d’habitation, tous ne connaissent pas les mêmes exigences du “vivre ensemble”. Mais il y a des interrogations à côté desquelles aucun disciple du Christ ne peut passer s’il ne veut pas s’entendre dire un jour par Jésus lui-même : "J’étais un étranger et tu ne m’as pas accueilli." (Extrait de Un peuple en devenir : l’Eglise et les migrants)
Défendre la dignité des immigrés quand on est à contre-courant de la majorité de l’opinion publique demande sans doute un certain courage.
Mais le silence est ici impossible de la part des disciples du Christ.

L’héritage vétéro-testamentaire (ainsi par exemple  ;  ;  ;  ; ) se voit confirmé et radicalisé par le Nouveau Testament. L’enseignement le plus explicite de Jésus sur l’accueil à réserver aux immigrants et aux réfugiés est sans contredit cette parole où il a été jusqu’à faire de l’étranger le sacrement de sa présence à travers le temps et l’espace : . Mais on peut aussi relire , , , , ou encore qui fait de tous les humains sur la terre des gens de passage et des étrangers en marche vers une patrie définitive où les rivalités seront à jamais bannies.

"Une telle vision des choses exprime la contestation la plus fondamentale que l’on puisse formuler contre les tentations de xénophobie et de racisme. Qui donc peut prétendre être maître de la terre où il n’est que de passage, comme un immigrant ou un réfugié ?" [Extrait de L’accueil et l’intégration des migrants et des réfugiés : Une mission prophétique pour l’Eglise, message pastoral de la commission épiscopale de théologie de la Conférence des évêques catholiques du Canada (mars 1993)]

On peut encore penser à la relecture que Jésus fait du prophète Isaïe dans la synagogue de Nazareth () : Si l’un des critères de la fidélité au Christ réside en ce que "la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres", alors, de fait, les évêques français ont raison de noter que la mission passe par une attention particulière à ceux qui viennent répercuter le cri du Tiers-Monde jusque dans notre société, et qu’il ne saurait y avoir de discrimination dans la solidarité.

"Il ne s’agit pas seulement pour les chrétiens d’un devoir d’hospitalité. C’est l’identité même de l’Église qui est en cause : germe d’un peuple nouveau où tout homme, à travers l’originalité de sa culture, est reconnu comme un frère." (cf.  ; )

Contre l’indifférence, la solidarité !

Contre l’indifférence, qui, pour les chrétiens, constitue un péché par omission, l’Eglise en appelle à la solidarité.

"Celle-ci n’est pas un sentiment de compassion vague où d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous." [Encyclique Sollicitudo rei socialis, n° 38]

Cette solidarité fondamentale entre les hommes ne saurait d’ailleurs être restreinte par quelque disposition juridique que ce soit. Dans ce domaine comme dans d’autres, la loi civile ne peut pas aller contre la loi morale qui me prescrit de voir en tout homme un frère.

"Un étranger en situation illégale est exclu du droit, donc exclu d’une reconnaissance sociale au sein d’une communauté nationale. Il n’existe pas au regard des autres.
L’Eglise, pour qui toute personne humaine a une dignité inaliénable du fait de l’image de Dieu qui la constitue, ne peut accepter cette exclusion et affirme que, même en situation illégale, tout homme est sujet de droits. (...)
En tout état de cause, ce qui prime, c’est la sauvegarde de la vie humaine. Quand celle-ci apparaît clairement menacée par un retour au pays d’origine, les chrétiens reconnaissent comme leur devoir de s’engager et d’assurer à la personne concernée la protection nécessaire. Le principe évangélique demeure pour eux une référence : "Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat." Il ne peut y avoir, au nom de la loi, des personnes sacrifiées. (...)
Par la précarité de leur condition, les étrangers en situation illégale font partie des catégories sans cesse croissantes des exclus de nos sociétés. Ils ont droit à la solidarité des chrétiens. Cette solidarité ne s’arrête pas là où le droit impose des limites. Il est de la responsabilité pastorale des Eglises diocésaines de tout faire pour que ces femmes et ces hommes “de nulle part” trouvent auprès des chrétiens la fraternité à laquelle ils ont droit. [Colloque des délégués de la Pastorale des migrants de vingt pays d’Europe, octobre 1994]

Un défi pour les chrétiens

Comme tant d’autres et avec d’autres, les chrétiens sont donc invités à résister à toutes les tentations - voire les pratiques ! - racistes ou xénophobes, qui voudraient transformer les immigrés en boucs émissaires de toutes les difficultés que notre pays peut traverser. Ils peuvent, sans naïveté ni syncrétisme irrespectueux de l’identité des uns et des autres, contribuer utilement au dialogue inter-religieux et à une meilleure compréhension entre nos diverses cultures. Ils doivent certainement se faire entendre pour que, dans la hiérarchie de nos valeurs d’Européens nantis, le légitime droit à la propriété privée n’occulte pas la loi plus fondamentale encore de la destination sociale ultime des biens de la création, et que, dans l’opinion publique, le légal ne devienne pas peu à peu le critère du moral.

Mais leur contribution la plus originale et peut-être la plus prophétique, dans une société qui a tendance à céder aux tentations de la peur et du repli, sera sans doute de donner un signe éclatant de ce peuple nouveau sans frontière et sans exclusion que Jésus a fait naître de sa mort et de sa résurrection. Nos communautés doivent "témoigner de la qualité d’intégration qu’elles pratiquent en leur sein". C’est ainsi qu’elles seront "ferments de la construction de l’unité humaine et de la civilisation de l’amour". (Jean-Paul II, le 17/10/1985. Discours du 2ème Congrès mondial de la pastorale de l’émigration)

"Il ne s’agit pas seulement d’accueillir un Portugais ou un Antillais dans son conseil pastoral ou de colorer la liturgie de quelques rythmes africains. Il s’agit de devenir ensemble davantage l’Eglise de Jésus-Christ dans un véritable partenariat, dans une meilleure connaissance de nos cultures propres et dans la prise en compte ensemble des défis missionnaires qui se posent à nous." [Extrait de Un peuple en devenir : l’Eglise et les migrants]

N’est-ce pas, après tout, la vocation de notre Eglise qui se veut catholique ... c’est-à-dire “universelle” ?

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Philippe LOUVEAU

Prêtre du diocèse de Créteil, ancien équipier de PSN.
Curé doyen de la paroisse Saint-Georges à Villeneuve-Saint-Georges.

Publié: 01/10/2015