Raréfaction des miracles

Seigneur, pendant ton passage sur la terre, et notamment pendant tout le temps de ta vie publique, question miracles, tu n’as pas été chiche ! A en croire les évangiles, tu n’as pas arrêté de guérir tous ceux qui, malades ou infirmes, avaient le bonheur de te rencontrer, de te voir, de t’entendre ou même, simplement, de toucher la frange de ton manteau. C’était suffisant. On était guéri, on pouvait même, de mort redevenir vivant. Tu as montré à tes apôtres que les éléments naturels t’obéissaient : à ta voix, la tempête s’est apaisée et, question nourriture ou bon vin, tu pouvais en donner à profusion.

Alors, pourquoi maintenant, interviens-tu si peu dans notre monde actuel ? Je sais qu’une bonne partie du mal sur terre provient des hommes : guerre, violences en tous genres, égoïsme, orgueil du pouvoir... Mais, il y a quantité de souffrances que tu pourrais combattre : les ouragans, les typhons, les tremblements de terre, les inondations, la grêle, les grands gels, les tempêtes, la sécheresse... Périodiquement, un coin de ce vaste monde connaît ces terribles débordements des lois de la nature, entraînant misères, pleurs, multiples souffrances, morts et deuils. Et ne parlons pas des maladies. Certes la médecine travaille d’arrache pied, et chaque jour, elle fait des progrès étonnants, mais, au fur et à mesure que sa science et ses techniques se font de plus en plus pointues, le mal prend des formes nouvelles devant lesquelles elle avoue son impuissance et en est réduite à des recherches longues, coûteuses et, pendant un temps, parfaitement inefficaces.

Le mal est là, il est toujours là, il reste bien là.

Et même tes amis les saints n’interviennent que rarement quand on leur signale telle ou telle misère. Thérèse de Lisieux par exemple, qui a annoncé qu’elle passerait son ciel à faire du bien sur terre : ou bien elle a oublié sa promesse, ce qui serait étonnant car elle est très sympa, cette petite femme-là, et elle paraît être une femme sur qui on peut compter, ou elle ne travaille qu’une minute ou deux tous les six ou douze mois, et elle est très, très en avance sur la CGT qui réclame seulement 35 heures de travail, et par semaine encore !
Blague à part, ça fait pas beaucoup, avoue-le, Seigneur. Pourquoi, dis, pourquoi ?

Note que je crois comprendre maintenant (en tout cas, un peu mieux qu’avant) quel a été ton projet (tu m’excuses si je me permets de juger ta façon de faire, mais je ne peux pas aimer quelqu’un qui reste totalement, hermétiquement mystérieux, faut que j’arrive à le comprendre au moins un peu). Donc, j’admets et je comprends que tu aies choisi un peuple, un petit peuple, à qui, inlassablement, tu as envoyé des prophètes pour qu’il se souvienne que tu étais leur Dieu, leur seul Dieu fidèle.

Pourquoi le peuple juif ?

Peu importe, il en fallait bien un. Et on peut dire que Tu as réussi, en partie, ton projet, parce que ce peuple, malgré infidélité sur infidélité, a compris que tu allais envoyer le Messie. Il l’attendait, il l’attend toujours d’ailleurs, je le dis sans ironie et avec admiration. De ce côté-là, ce peuple a parfaitement compris ce que tu leur avais annoncé. Mais il avait son idée sur ce que serait ce Messie. Et Jésus ne correspondait pas à son idée, alors il l’a refusé.

Pourtant, tu n’as pas lésiné sur les actes prouvant ta puissance et ta véritable filiation. Je l’ai noté plus haut. Les miracles fusaient à jet continu. Mais, il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, dit-on avec juste raison. De plus, Tu as pris grand soin de ne pas faire de miracle trop spectaculaire qui risquait de les obliger à croire. Toujours, tu as eu le souci d’obtenir une libre adhésion. Mais, c’était clair quand même. Rappelez-vous le paralytique descendu par le toit : "Pour que vous sachiez que j’ai autorité pour pardonner les péchés (ce qui est un attribut spécifique de Dieu), lève-toi, prend ton grabat et marche..." C’était lumineux, non ?

Donc, au début de ta mission, et au début de la mission des apôtres, les miracles sont faits pour que ton enseignement soit reçu, pour qu’on reconnaisse ta filiation divine. Mais, il n’y a pas que cela. Il est noté que, devant le chagrin de la veuve de Naïm, ou celui de Marthe et Marie, tu as été ému et tu as pleuré. Alors les misères d’aujourd’hui ne t’émeuvent-elles plus ? Toute ta vie, tu as combattu le mal. Dieu ne veut pas le mal, c’est dit et c’est redit à chaque page. Pourtant, le mal existe ; il crève les yeux. Alors, pourquoi, sauf rares exceptions, ce refus actuel de t’interposer ?

Je crois que je suis en train de passer sous silence une condition importante pour qu’un miracle se réalise : avoir la foi, avoir confiance. Tu l’as souvent noté. Il est dit qu’à Nazareth, tu ne pouvais rien faire, en raison du rejet de tes concitoyens.

Mais je croyais avoir la foi, Seigneur. Je peux réciter le Credo en étant d’accord avec tout ce qui est dit dedans, en croyant que ce que je récite est vrai. Ce n’est pas suffisant ?

Qu’est-ce qu’alors avoir la foi ? Je me pose la question. Il y a une réponse dans une lettre de saint Jacques (Jc 2,14-18). La foi sans les actes, dit saint Jacques, c’est rien. Celui qui n’agit pas ne peut pas prétendre avoir la foi.

Alors, là, c’est net, il faut que je me demande : quand je dis ’je crois’, est-ce que ça change quelque chose dans ma vie ? Tout est là. Et comme ça, je vois bien qu’il y a à faire.

Augmente en moi la foi, Seigneur, rien que d’un petit pois. D’après toi, ce serait déjà pas mal. Mais je vois bien que Toi tout seul, tu ne peux pas tout. Il faut que je m’y mette aussi. Allez, courage.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 31/07/2003