Les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers

La formule fait choc, non ? Elle s’inscrit après la parabole des vignerons de la onzième heure. Vous savez, il y a les travailleurs qui ont été embauchés au point du jour et travaillent la journée entière au salaire d’une pièce d’argent, et puis ceux qui vont arriver à la vigne de plus en plus tard, jusqu’à ceux qui n’auront qu’une heure de travail.

Et tous vont recevoir, à la fin de la journée, une pièce d’argent : les derniers sont naturellement bien contents, mais les premiers s’estiment lésés, bien qu’ils aient reçu le dû qui avait été prévu lors de la formation du contrat. Et Jésus termine par cette formule sibylline, mystérieuse à souhait : les derniers seront les premiers et vice versa.

Jusqu’ici tous les commentateurs que j’avais lus estimaient que les premiers embauchés, c’était le peuple d’Israël qui avait été choisi pour être le peuple de Dieu. Pourquoi celui-là ? Ça me posait question ; mais il en fallait bien un au milieu duquel le Fils prendrait corps d’homme. Et nous qui sommes arrivés après le Christ, on était considéré comme les derniers embauchés, et la formule me semblait avoir du bon. Elle rétablissait toute justice, parce qu’enfin, si on ne faisait pas partie au début, du peuple élu, on y était pour rien.
Ça me satisfaisait d’autant mieux que, comme Jésus, qui a dû les faire pour en parler aussi bien, je sais ce que c’est que de faire les vendanges, le poids du travail et la chaleur du jour. Pour cueillir les raisins, il faut se casser en deux, passer d’un pied de vigne à l’autre, en portant son seau qui devient de plus en plus lourd, jusqu’à ce qu’il soit plein et qu’on puisse appeler le porteur qui vide le seau dans sa hotte et la déverse dans la comporte. Je vous assure que c’est dur, surtout le premier jour, et ici, dans le midi, comme en Judée, ça se passe alors qu’il fait chaud, bien chaud. On transpire, le dos est douloureux, les mains sont poisseuses, et si manger du raisin en début de matinée est un régal rafraîchissant, très vite on est dégoûté et il n’y a plus que la fatigue de plus en plus douloureuse qui s’installe.

Alors recevoir plein tarif pour une seule heure de travail, ça m’allait, ça m’allait même très bien.

Oui, mais insidieuse, une question s’est posée : est-ce que vraiment j’avais la chance d’être parmi les ouvriers de la onzième heure ? Auquel cas, je pouvais être relax, ou est-ce que je faisais partie de la première tranche ? Et il fallait que je m’active sérieusement. Ce qui était vrai pour les commentateurs, si on considérait l’histoire des peuples, était-il aussi exact si on s’attachait à chaque individu en particulier. Pas sûr !

Et c’est vrai que j’avais été baptisée pratiquement à ma naissance, que j’avais été élevée dans une famille catholique, aimante, qui avait eu à cœur de me transmettre la foi à laquelle elle croyait, et qu’ensuite, j’avais bénéficié d’une formation religieuse, dans une bonne école privée.

Avec tout ça, pouvais-je toujours penser que je ne faisais pas partie de la première équipe. Autour de moi, nombreux étaient ceux qui n’avaient pas eu ces mêmes avantages, c’était évident. Alors, suis-je de la première ou de la onzième heure ?

Et si, Seigneur, je te laissais décider ? Et si, je ne m’en préoccupais pas, puisque, de toutes façons, je recevrais une pièce d’argent si le travail est fait. Allez, à toi les comptes, Seigneur ! Je te fais confiance : à moi le travail de la vigne à laquelle tu m’as conviée ; comme ça c’est plus simple et, finalement, c’est mieux.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/05/2008