Comment être missionnaire ?

Seigneur, tu nous as dit : « Allez enseigner toutes les nations. » Mais comment être missionnaire ?

Tu l’as constaté, Seigneur, en France, nous sommes de moins en moins nombreux dans nos assemblées religieuses, et la majorité de ceux qui sont présents a des cheveux blancs, à moins qu’une savante teinture soit passée par là - mais elle ne camoufle pas tout.

Même dans ma famille, il y a quelques membres qui ne fréquentent plus l’église. Ils ne se disent pas athées mais paraissent assez indifférents aux questions religieuses. Quant à la génération suivante, la tendance est encore plus forte. Sur la vingtaine d’enfants que je peux comptabiliser, il n’y en a plus un seul qui va à la messe. Et parmi mes amis, je ne suis pas une exception. C’est un constat général.

« France, qu’as-tu fait de ton baptême ? » nous a demandé le pape. Je serais bien en peine de répondre.

Alors on se rassure un peu, en remarquant qu’autrefois, du temps de mon enfance, les églises étaient certes pleines, mais pleines uniquement de gens dont le statut social exigeait la présence à l’église, alors qu’aujourd’hui les personnes présentes sont des catholiques convaincus, dont la foi est vivante. C’est vrai ! Mais nous sommes en nombre de plus en plus restreint, les jeunes sont largement absents et le nombre de prêtres s’amenuise au fil des ans.

Que faire ? Comment remédier à cette situation ? Comment être missionnaire ? Et là, les avis divergent.

II faut se montrer, se faire connaître, aller au devant de nos voisins, les interpeller et essayer de les convaincre, disent les uns.

Pas du tout, rétorquent les autres, c’est par notre manière de vivre, d’être témoin que nous pouvons amener les autres à se poser des questions et à venir vers nous pour savoir quel est notre secret.

J’avoue que je me suis posé la question : y a-t-il une bonne et une mauvaise méthode ? Qu’est-ce que tu en penses, Seigneur ? Comment ferais-tu ?

Je ne peux me servir de la façon dont toi, tu as annoncé la Bonne Nouvelle en Palestine. Ton pays était, à l’époque, profondément religieux, marqué par l’Ancien Testament. Plus de 2000 ans après, en France, la situation est tout autre. On ne peut comparer. Alors, aujourd’hui, ici, comment ferais-tu ?

Personnellement, je me sens plus à l’aise avec la méthode discrète. Je ne me vois pas faire du porte à porte, aller sur les marchés, tenir un stand, pour parler de toi, participer à des cortèges avec banderoles et bannières au vent, vénérer des reliques ou des statues ; c’est pas mon truc. Et la vie de saint Pierre Chanel me conforte dans cette optique.

Tu le sais, Seigneur, il y a près de 200 ans, il a été envoyé par les Maristes dans les îles lointaines comme missionnaire. Il est arrivé à Futuna après un long voyage très éprouvant où il a perdu celui qui devait être son compagnon.

Il ne connaissait ni la langue, ni les us et coutumes des peuplades qui y vivaient. Il lui a fallu abandonner ses illusions les unes après les autres. Il s’est contenté de mener avec courage et opiniâtreté une vie pauvre, de plus en plus pauvre, remplissant fidèlement ses exercices religieux, portant sa soutane élimée peu adaptée à ce pays chaud, clopinant sur ses pieds meurtris après que ses chaussures eurent rendu l’âme.

Il a respecté les us et coutumes des autochtones, adoptant leur manière de se nourrir, de se loger, s’efforçant de les soigner dans la mesure de ses petits moyens, de les empêcher de se battre, de leur prouver son amour en leur souriant, en acceptant de se faire dévaliser des quelques légumes cultivés dans son jardin, essayant d’apprendre leur langue, leur rendant visite à leur demande.

A son époque ce n’était pas la mode, mais aujourd’hui on dirait qu’il a fait tout son possible pour “s’inculturer” et cela sans jamais manifester un reproche ou un mécontentement, sans se décourager malgré le peu de réussite apparente de sa mission : pas un seul adulte n’a demandé à se faire baptiser. C’était d’autant plus éprouvant qu’il savait que, dans d’autres îles où il y avait d’autres missionnaires plus entreprenants, les chapelles étaient pleines de baptisés qui paraissaient convaincus et heureux.

Mais pendant son agonie qui a duré un certain temps, car les coups qui lui avaient été portés n’avaient pas été suffisamment forts pour entraîner une mort immédiate, la tradition rapporte qu’il aurait succombé en disant : « C’était bien, quand même ! » Et il ne se trompait pas, car son martyre a finalement entraîné nombre de conversions et Futuna est aujourd’hui une île où tu as droit de cité, n’est-ce pas, Seigneur ?

Alors, que penser ? Finalement, je crois qu’il est bon qu’il y ait plusieurs méthodes, de façon à ce que chaque personnalité puisse utiliser à fond ses charismes propres. Les différences ne doivent pas entraîner des rejets, des condamnations. Comme partout, elles sont sources de richesses, parce que complémentaires. Ceux qui militent en faveur de la discrétion peuvent passer à côté des distraits, des indifférents, et les partisans d’une diffusion plus démonstrative peuvent indisposer ceux qui refusent toute forme de publicité. L’important, je crois, Seigneur, quand on a essayé loyalement de partager avec d’autres le trésor de sa foi, c’est de pouvoir se dire, au seuil de sa vie : « C’était bien, quand même ! »

Après tout, toi, humainement parlant, ta vie terrestre s’est soldée par un échec éclatant. Alors une fois de plus il faut te faire confiance. L’avenir t’appartient.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/06/2006