Tu aimeras ton prochain comme toi même

Après avoir entendu ta réponse à un pharisien qui lui demandait quel était le plus grand des commandements, un de mes amis m’a objecté qu’il ne pouvait pas aimer son prochain, puisque lui-même ne s’aimait pas.
Effectivement, d’après ta réponse, Seigneur, le plus grand commandement c’est : « Tu aimeras ton Seigneur et ton Dieu de tout ton cœur, de toutes tes forces, de tout ton esprit », et le second lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Passe pour le premier commandement où, en théorie, il n’y a pas de difficulté. En théorie, dis-je, ça se comprend et ça peut s’admettre tout à fait, mais il est vrai qu’en pratique, c’est nettement différent, et le nombre de fois, dans la journée, où je te relègue après et non pas avant ce qui me tracasse, m’accapare ou m’intéresse vraiment, est toujours assez important. Mais pour le second, l’objection de mon ami m’a paru assez pertinente.
Or on a l’impression que le parallélisme que tu traces est rigoureux. Alors quand on ne s’aime pas, que devient l’amour du prochain ? Tu vois ce que je veux dire, Seigneur ?
Et il est exact qu’il y a des tas de choses en moi que je n’aime pas. Sans parler du physique où on a tous quelque chose à se reprocher : on n’est pas assez grand, pas assez mince, un nez trop fort, des yeux trop petits ou trop enfoncés, pas de la couleur souhaitée, un ovale imparfait, des cheveux raides ou trop frisés... La liste pourrait s’allonger indéfiniment.
Mais ce n’est pas le plus important, loin s’en faut. Question intelligence, ça laisse à désirer ; question culture, formation, il y a des trous ; relation avec les autres, c’est pas fameux ; sur le plan caractère et surtout force de caractère, il y aurait beaucoup à dire, etc., etc.
Comment s’aimer dans ces conditions ? Alors aimer le prochain comme soi-même ! Ça va pas en faire lourd, c’est l’évidence.
Mais je reconnais que, tout en déplorant un tas de choses en moi qui me déplaisent, je n’ai quand même pas envie de changer ma personne, ma personnalité, avec celle d’un autre. Par exemple, j’aime beaucoup Thérèse de Lisieux. Sa petite voix, son bon sens, son abandon à ta volonté, son amour pour toi, sa prière confiante me parlent beaucoup. Mais je me refuse absolument à être tout à fait comme elle. Je suis moi, et pas une autre. Ça ne fait pas un pli.
Et il est vrai que je ne suis pas prête à changer facilement ma façon de faire, ma façon de penser, ma façon d’être et il me faut du temps, et même beaucoup de temps (et même de la patience envers moi), pour modifier un tout petit peu mes agissements, quand j’arrive à me convaincre ou quand tu arrives à me convaincre que ce serait mieux si je faisais autrement.
En règle générale, je choisis mes amis selon des critères qui me sont propres, mes activités habituelles ou caritatives correspondent à des aptitudes qui me plaisent, mes relations familiales sont suivies ou distantes en fonction de mes préférences, je vote selon une opinion que je me suis forgée et même ma spiritualité a fait l’objet d’une option dont j’ai eu du mal à admettre qu’il s’agissait d’un choix d’amour gratuit de Celui en qui j’ai mis mon espérance, en l’occurrence, toi, Seigneur. A priori, j’ai l’impression que ce ne serait plus moi si je changeais. C’est comme ça et pas autrement.
Mon Dieu, Seigneur, tu le vois. Je dis que je ne m’aime pas, mais c’est complètement faux. Moi, moi, moi... je ne parle que de moi. Il faut bien l’admettre, je pense plus à moi qu’aux autres et, au fond, ça ne serait pas si mal si je voulais bien mettre l’intérêt pour les autres au même niveau que l’intérêt pour moi. Une fois de plus, tu m’as ouvert les yeux, Seigneur.
Va falloir que j’en parle à mon ami. Lui, à première vue, il est très tourné vers les autres. Il fait des tas de choses pour les autres. Sa maison, ses affaires, son temps, ses enfants même, son porte-monnaie, tout est au service des autres. Par boutade, on pourrait dire qu’il vaudrait mieux qu’il s’occupe un peu moins des autres, pour arriver à s’occuper un peu plus de lui. Mais justement, son intérêt pour les autres, n’est-ce pas ce qui lui paraît, à lui, le plus important, ce qu’il aime le plus chez lui, ce qui lui permet de s’étourdir pour éviter de se poser certaines questions, de changer ce à quoi il tient le plus ?

Va savoir, Seigneur ? Si tu l’aidais à discerner, je crois que tu ne perdrais pas ton temps. Aide-le, Seigneur, comme tu m’as aidée.

Une faute d'orthographe, une erreur, un problème ?   
 
Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/11/2006