L’aile brisée

Par une nuit d’été, installé dans mon jardin, mi-dormant, mi-rêveur, je contemplais l’astral. Voûte enchanteresse, sublime cathédrale, clins d’œil complices, mille étoiles devenues lutins. Deux grands nuages flirtaient avec la lune. Grosse, ronde, elle enfantait son autre moitié.

Ai-je dormi ? Ai-je rêvé ? C’est ridicule, mais un petit ange blond de moi s’est approché. Il riait, dansait, virevoltait. Qu’il était beau ! Ses deux grandes ailes arrogantes de liberté m’enchantaient d’une douce musique en DO. Ah, ce petit ange, que je l’avais aimé ! Puis, il s’est envolé pour ne plus revenir.

De longs mois ont passé, je ne l’ai plus revu. J’espérais tellement qu’il revienne m’éblouir. Ce n’était qu’un rêve, irréel et saugrenu. Soudain, par un matin blême de novembre, mon ange fourbu et blessé m’est apparu. Aucune parole, que les pleurs d’un ange déchu. L’aile brisée, ce n’était plus le même ange. Comme j’essayais de m’approcher un peu de lui, il s’enfuit comme un animal traqué.

Cette fois, je crus que c’en était fini ; je ne l’ai pas revu pendant deux longues années. Un soir de l’été 1981, comme autrefois, bien installé dans mon jardin, j’aperçus un ange qui n’était certes pas le mien. Il s’approcha de moi ; je vis deux grands yeux bruns. Alors, il me dit dans son langage d’ange : "Mais quoi ! Ne me reconnais-tu pas ?" Je voyais bien qu’il avait une aile pendante... C’était bien lui, mon ange qui volait devant moi.

"Que t’est-il arrivé ?" dis-je, un peu hébété. "Oh, tu sais, la vie m’a un peu bousculé ; l’orgueil et l’ambition dirigeaient mes actions, et quelqu’un s’est chargé d’abaisser mon fanion. Je sais bien que j’ai perdu ma superbe, que la beauté s’arrache comme mauvaise herbe. Mais j’espère que tu trouveras une raison pour me laisser voler derrière ta maison."

Qu’il était beau mon ange, même diminué ! Un peu moins d’arrogance, un peu plus de bonté. Il parlait beaucoup moins, écoutait davantage, Même si parfois, j’ignorais son verbiage. Il parlait des enfants meurtris, handicapés, des blessures infligées à de pauvres innocents, d’un homme crucifié il y a deux mille ans, venu le sauver par le don de son sang. Comme je le trouvais sage et beau, mon ange. Plein d’expérience, drôle et intelligent. Il savait maintenant parler comme un vrai ange.

De l’importance d’aimer et d’être aimé. De ces gens déçus et parfois déchus, j’en ai rencontré plusieurs dans ma vie. Les malheurs qui les avaient assaillis ont fait qu’ils m’ont toujours ébloui malgré leur aile brisée.

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Daniel LEBLANC
Publié: 30/11/1997