Prier le Notre Père avec Marie : Sur la terre comme au ciel, que ton nom soit sanctifié (2/7)

Série de prédications données lors de Neuvaine du Saint-Cordon à Valenciennes, du 11 au 19 septembre 2005.

Ph 2, 1-5.

Aussi je vous en conjure par tout ce qu’il peut y avoir d’appel pressant dans le Christ, de persuasion dans l’Amour, de communion dans l’Esprit, de tendresse compatissante, mettez le comble à ma joie par l’accord de vos sentiments :
 ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment ;
 n’accordez rien à l’esprit de parti, rien à la vaine gloire, mais que chacun par l’humilité estime les autres supérieurs à soi ;
 ne recherchez pas chacun vos propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à ceux des autres ;
 ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus.

Nous commençons aujourd’hui le commentaire des trois demandes en tu et à la forme passive. Elles seront suivies par les trois autres demandes en nous et à la forme active. Et je voudrais commencer ce soir par deux remarques, un peu techniques et pourtant essentielles, qui concernent les trois prochaines interventions.
Il faut savoir que dans la culture hébraïque, lorsque l’on veut mettre quelque chose en commun à toute une liste, on commence par donner la liste et on finit par ce qui est commun. En français, c’est exactement l’inverse. C’est pourquoi, une traduction moins littérale du texte aurait pu donner : « sur la terre comme au ciel, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne et que ta volonté soit faite ». Sur la terre comme au ciel concerne les trois premières demandes du Notre Père. D’où le titre de l’intervention de ce soir.
La seconde remarque est plus importante encore. Il s’agit de grammaire. Et vous allez comprendre combien il importe ici d’être précis si l’on veut bien prier comme Jésus nous y invite. Lorsque nous lisons « que ton nom soit sanctifié », il s’agit bien d’une forme passive. La question est alors : quel est le complément d’agent ? Qui peut sanctifier le nom de Dieu ? Évidemment, ce n’est pas nous qui pouvons apporter quoique ce soit à la sainteté du Nom de Dieu. En fait, c’est Dieu lui-même qui est l’agent principal des trois demandes. Elles pourraient alors être traduites de la façon suivante : Viens manifester la sainteté et la gloire de ton nom en nous ; fais venir ton règne que nous espérons tant depuis l’ascension de ton Fils ; fais-nous connaître ta volonté pour qu’avec ton Esprit nous puissions l’accomplir.

Sur la terre comme au ciel, que ton nom soit sanctifié

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la sanctification ou la glorification du Nom de Dieu ne passe pas d’abord par des chants et des hymnes ou par des liturgies si belles soient-elles. Mais je reviendrai sur l’importance de la liturgie à la fin de cette intervention.
Pour nous en convaincre, relisons la note de la TOB : « Le Nom de Dieu est un terme biblique traditionnel pour désigner respectueusement son être, surtout dans les textes cultuel. [D’ailleurs, par respect pour Dieu, on ne dit pas son nom car nommer Dieu, c’est presque avoir prise sur lui. Ceci redouble l’importance d’une véritable attitude intérieure pour pouvoir nommer Dieu « Père »]. Sanctifier le nom de Dieu ou son Nom est une expression classique dans la Bible et le judaïsme. Puisque Dieu est le Saint par excellence, l’expression du Notre Père ne peut signifier qu’on ajoute quoi que ce soit à sa sainteté ; mais elle indique qu’on reconnaît, qu’on manifeste ce qu’il est, qu’on lui rend gloire.
La Bible et le judaïsme connaissent deux manières de sanctifier Dieu ou son Nom.
D’une part, les légistes et les rabbins dans leurs exhortations invitent les fidèles à sanctifier Dieu concrètement par l’obéissance à ses commandements et non pas du bout des lèvres.
Is 29, 13 : Le Seigneur a dit : Parce que ce peuple est près de moi en paroles et me glorifie de ses lèvres, mais que son cœur est loin de moi et que sa crainte n’est qu’un commandement humain, une leçon apprise, je vais quand même l’étonner par des merveilles et des prodiges.
Dans cette veine, on retrouve Jésus lui-même lorsque il critique certaines attitudes piétistes loin de toute vie concrète et responsable : « Ce n’est pas en me disant : "Seigneur, Seigneur", qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » Mt 7, 21.

D’autre part, les prophètes dans leurs oracles sur le salut à venir annoncent que Dieu va se sanctifier en se manifestant comme le juste Juge et le Sauveur aux yeux de toutes les nations :
Ez 20, 41 : Comme un parfum d’apaisement, je vous accueillerai, quand je vous ferai sortir du milieu des peuples ; je vous rassemblerai des pays où vous êtes dispersés, je serai sanctifié par vous aux yeux des nations,

Ez 36, 23 : Je sanctifierai mon grand nom qui a été profané parmi les nations au milieu desquelles vous l’avez profané. Et les nations sauront que je suis Yahvé - oracle du Seigneur Yahvé - quand je ferai éclater ma sainteté, à votre sujet, sous leurs yeux
Dans le Nouveau Testament et spécialement dans les Évangiles, la sainteté de Dieu s’exprime en termes de justice : « Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. » Mt 6, 33.

Nous pouvons désormais déployer la première demande du Notre Père sous ses deux dimensions attestées par l’Écriture.

Que ton nom soit sanctifié dans ma vie quotidienne

A chaque fois que nous accomplissons les commandements de Dieu, et en particulier le double commandement de l’amour de Dieu et de nos frères, Dieu est glorifié ou sanctifié. Autrement dit, nos bonnes actions chantent au plus haut point la gloire de Dieu.
Saint Irénée l’avait bien compris lorsqu’il écrivait vers 170 : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu » . Dieu veut trouver sa joie dans notre vie. Dieu veut trouver sa gloire dans notre quotidien parce qu’il croit, il sait qu’être un homme, c’est possible.
C’est ainsi que saint Paul n’a pas peur de nous inviter à avoir les mêmes sentiments qui étaient en Christ (Ph 2, 1-5). C’est la lecture qui est sur vos feuilles d’aujourd’hui. C’est en vivant comme le Christ et grâce à son Esprit que Dieu déploiera sa gloire en nous ainsi qu’il l’a fait en son Fils Jésus.
Au fond, cette première demande du Notre Père nous rappelle que toute notre vie peut chanter la gloire de Dieu, que toute notre vie est prière. Les Pères du Concile Vatican II nous le confirment lorsqu’ils nous invitent à être fervents dans l’action et occupés dans la contemplation. (SS 2).
Quelque part, nous pourrions dire que notre vie quotidienne est une véritable liturgie lorsqu’elle est digne de l’amour de Dieu. Dois-je aussi rappeler la formidable formule de Paul en 1 Co 6, 20 : « Glorifiez Dieu dans votre corps ». Certes la gloire de Dieu réside en Lui mais ici-bas, il a voulu qu’elle soit manifestée à travers nous. Au fond, « que ton nom soit sanctifié » exprime en particulier une autre demande : « donne-nous de vivre saintement ».
Je me souviens d’avoir célébré des funérailles dans le quartier de la briquette. Il s’agissait des funérailles de « Mon oncle ». Voici cette histoire où chacun verra que la sainteté dans la vie quotidienne, c’est vraiment possible. Lors de la visite, je rencontre une femme que manifestement l’alcool et les coups n’avaient pas embellie. Elle se met à parler de cet homme qu’elle avait trouvé pas loin de sa porte, couvert de sang. Elle l’a recueillie chez elle. Retapé, l’homme s’est mis à faire les courses pour toutes les mamies du quartier. Il était devenu l’oncle du quartier, « mon oncle ». Un jour il est mort. Et dans le journal, le faire part faisait connaître la date des funérailles de Monsieur untel, écrit en petit, dit « Mon oncle » écrit en très grand. Ce ne fut pas une petite joie pour moi que de célébrer ses funérailles. « Que ton nom soit sanctifié » dans notre vie quotidienne.

Que ton nom soit sanctifié par ta justice et ta sainteté.

C’est l’autre aspect de la sanctification du nom de Dieu.
Toutes nos liturgies expriment cette demande lorsque nous implorons Dieu qu’il fasse venir le jour du Christ, le dernier jour. C’est comme si nous disions au Seigneur : « Ne tarde plus. C’en est trop de voir des enfants affamés, des femmes violées, des populations entières dans la misère. Vienne ton jour de justice et de sainteté, qu’enfin plus aucune larme ne coule sur les visages ».
Cette demande, comme les deux suivantes, a un caractère eschatologique. Car nous le savons, ce n’est qu’au retour définitif du Christ que la sainteté de Dieu sera complètement manifestée aux yeux du monde. Nos liturgies demandent sans cesse à Dieu le retour du Fils.
Enfin, entre la vie quotidienne et la liturgie de l’eucharistie dont le récit des pèlerins d’Emmaüs est emblématique, il y a comme un va et vient. A chacune des messes que nous célébrons nous apportons notre vie. Comme les disciples d’Emmaüs nous disons au Christ : « Et nous qui espérions... mais voilà déjà le troisième jour qu’il est mort ». Et Sur nos expériences de mort comme sur nos expériences de vie nous demandons à la Parole de Dieu, au Christ lui-même de nous éclairer. Notre vie est alors nourrie de la miséricorde de Dieu, de sa parole et du pain de vie. Puis fortifiés et sanctifiés nous rentrons chez nous vivre de ce que nous avons reçu c’est-à-dire vivre saintement.
La liturgie a un vrai lien avec la sainteté de Dieu. C’est là que sa sainteté est exprimée et célébrée. C’est là que chacun reçoit force et nourriture, Parole de Dieu et Pain de Vie pour que la sainteté de Dieu soit visible devant le monde entier par notre unité et notre fraternité.
Au tour du Saint-Cordon, lors d’une halte de la Vierge Marie, j’ai vu une femme s’approcher par derrière pour déposer une petite rose et toucher le manteau de Marie. Discrètement, sans se faire remarquer. Puis elle est repartie. Je ne sais même pas si quelqu’un d’autre a vu ce geste. Il y avait là beaucoup de sainteté dans cette liturgie toute simple et pourtant si évangélique. Comme la femme au milieu de la foule qui touchait le manteau de Jésus pour être guérie. Puisse Dieu exaucer sa prière.
Notre archevêque a coutume de dire que la messe du dimanche, c’est l’entraînement pour le match de la semaine.

Sur la terre comme au ciel

N’oublions pas non plus la remarque que je faisais au début de cette intervention. La sainteté de Dieu se manifeste aussi au ciel. Ainsi comme l’évoque la première préface des saints : « lorsque tu couronnes leurs mérites, tu couronnes tes propres dons ».
Mais il n’y a pas que les saints au ciel, il y a tous ceux qui ont encore besoin de se laisser travailler par la miséricorde de Dieu pour consentir à être sauvé par lui et lui seul. Ce sont ceux qui sont au purgatoire. Il ne faut pas avoir peur de ce mot. Le purgatoire, c’est cette chance qui est donnée aux hommes de pouvoir se remettre totalement en celui-là seul qui peut les sauver. C’est aussi une remarquable façon de chanter la gloire de Dieu que de le laisser opérer en nous son pardon pour nous faire entrer en son paradis.

La grâce de Dieu.

Ainsi donc, la sanctification du nom de Dieu dépend essentiellement de l’action de Dieu mais pas seulement. En effet, c’est la grande tradition spirituelle et théologique de dire que Dieu ne veut rien faire sans nous et que nous ne pouvons rien faire sans Lui.
Mais comment agit Dieu en chacun de nous ? Quel est le rôle de sa grâce dans le quotidien de nos vies de baptisés ? En fait, c’est très simple.
La grâce de Dieu éclaire notre intelligence et incline notre volonté à faire le bien.
Quand l’Église dit qu’elle éclaire notre intelligence, elle ne dit pas que les chrétiens sont plus malins ou plus intelligents que les autres. Mais elle affirme que la grâce de Dieu aide à voir plus clair dans les impasses. Elle aide à voir des passages que nous n’avions pas imaginés. Mais elle ne nous les fait pas passer comme par enchantement. Il faut encore qu’une fois la mer rouge ouverte, nous nous levions et la traversions.
Quand l’Église nous dit que la grâce de Dieu incline notre volonté à faire le bien, cela signifie que l’Esprit saint vient souffler sur notre aime et nous fait goûter par anticipation la joie qu’il y a à faire le bien et à éviter le mal. Bref ! Il nous montre la terre promise mais il faut quand même que nous retroussions nos manches.

Marie, lieu de prédilection pour la manifestation de la sainteté du nom de Dieu.

Lorsque Marie dit Oui à l’incarnation du Fils de Dieu, Dieu manifeste par là toute sa gloire car il a trouvé en elle une partenaire à la hauteur de son projet à tel point que non seulement il y trouve sa gloire mais il la dépose au plus profond d’elle-même.
Lorsque Marie rend visite à sa cousine Élisabeth pour l’aider dans les derniers mois de sa grossesse, elle sanctifie le nom de Dieu, ou plutôt Dieu sanctifie son propre Nom par le service qu’elle rend. Par là se manifeste toute la cohérence de la vie de Marie. C’est une spirituelle qui a les pieds sur terre et qui ne sépare pas la prière de la vie quotidienne.
Enfin, et comme toujours dans l’Écriture, il n’y a pas d’accomplissement de la volonté de Dieu qui ne débouche sur une louange. Le Magnificat est une hymne de reconnaissance pour le travail de Dieu en elle.

Croyons-nous que la sainteté est pour nous ou pour les autres ?

Bien souvent, j’entends que la sainteté ce n’est pas possible ou encore que l’Evangile est un idéal inatteignable. Cela manifeste deux difficultés : l’une qui confond sainteté et perfection ; l’autre qui laisse entendre que le Christ en nous demandant de prier pour que son Père sanctifie son nom dans nos vies, nous demande n’importe quoi ou l’impossible.
A ces deux difficultés, il me faut donc apporter deux réponses. La sainteté, ce n’est pas la perfection. Croyez-vous que saint Augustin ou le bienheureux Charles de Foucauld et tous les saints étaient absolument parfaits ? Sûrement pas. Mais il y a deux choses qui les ont habité une fois leur conversion faite : ils n’ont jamais désespéré de Dieu qui espérait tant en eux-mêmes. Lorsque Dieu que vous aimez le plus et respectez le plus vous dit, « confiance, tu es meilleur que ce que tu penses, tu as du prix à mes yeux, je donne ma vie pour toi parce que tu le vaux bien » au nom de quoi allez vous dire que vous n’en êtes pas capable ? Auriez-vous moins d’espérance en vous que Dieu lui-même ? Ce serait un vrai péché.
L’autre caractéristique des saints est leur persévérance dans leur marche vers le Royaume de Dieu. L’humble persévérance est la marque de la sainteté. Dans le livre de Michée nous pouvons lire : « Homme, voilà ce que l’on te demande pratiquer la justice, faire la miséricorde et marcher humblement avec ton Dieu ». La sainteté consiste à imiter Dieu et imiter ceux qui l’imitent, les saints. Et si nous tombons, si nous péchons, relevons-nous avec la grâce de Dieu.
Espérance et persévérance, voilà les deux marques de la sainteté.
Savez-vous qu’il n’y a que les saints qui viennent se confesser ? Certes, ils ont commis des péchés mais au moment même où ils se confessent, ils sont en train de dire à Dieu qu’ils préfèrent sa miséricorde à leurs misères, qu’ils préfèrent redire oui à leur baptême plutôt que de demeurer dans le péché. Mes amis, chaque fois que nous demandons le pardon de Dieu pour nos péchés, je vous assure que nous vivons saintement.

Quant à savoir pourquoi c’est vraiment possible, je vous le dirai lundi à travers la contemplation de la victoire du Christ sur le mal.

Avec tous les saints de Valenciennes, avec la Vierge Marie, animés de l’Esprit-Saint, redisons la prière que nous avons reçue du Sauveur.

Notre Père ...

© Bruno Feillet

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Bruno FEILLET

Évêque de Séez, ancien équipier de PSN.

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Publié: 01/06/2006
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