Les aspects de la crise

Il est désormais classique de distinguer trois types de crise : la crise financière, devenant la crise économique, provoquant la crise sociale.

La crise financière est désormais connue.

Elle trouve sa source dans ce que l’on a appelé les subprimes, c’est-à-dire ces prêts à taux d’intérêt élevé, consentis par les banques à des consommateurs américains en échange d’une prise de garantie sur leur maison. Ces subprimes avaient comme autre caractéristique d’être des prêts hypothécaires dits « rechargeables », c’est-à-dire que les banques pouvaient prêter aux particuliers des montants croissants à mesure qu’augmentait la valeur de la maison prise en gage.

Pourquoi les banques américaines se sont-elles engagées dans cette opération qui s’est avérée très risquée ? Tout simplement parce que l’économie américaine montrant des signes de ralentissement et ne permettant plus aux banques de réaliser des profits suffisants, celles-ci sont allées chercher de la rentabilité sur des marchés plus lucratifs ; et le marché de l’immobilier des particuliers apparaissait comme ce marché lucratif. Mais toutes les banques se sont mises à faire cette opération. Or la conjoncture américaine restant plate, il est arrivé un moment où les particuliers n’ont plus été en mesure de payer les intérêts et de rembourser des prêts qui, rappelons-le, étaient des prêts amortissables. Il y a donc eu une vague de ventes de biens mis en gage. Mais à mesure que ces biens ont été vendus, le marché s’est trouvé encombré et la valeur des biens s’est mise à descendre jusqu’au moment où il y a eu peur généralisée de voir les gages des prêts perdre complètement de la valeur. Ainsi donc les prêts, non remboursés, sont apparus comme des prêts risqués. Il a donc fallu regarder selon les nouvelles règles de la comptabilité des banques, s’il ne convenait pas de provisionner le montant de ces prêts dès lors que leur valeur de marché commençait à diminuer.

Dans le même temps, les banques américaines n’ont pas, la plupart du temps, conservé dans leur portefeuille les prêts ainsi consentis. Ils les ont « titrisés », c’est-à-dire qu’ils les ont revendus à d’autres partenaires cherchant eux aussi de la rentabilité, lesquels le plus souvent les ont eux-mêmes revendus à d’autres.

En effet il convenait, devant le risque que comporte un prêt immobilier, de faire en sorte de mutualiser les risques. La titrisation permet cette mutualisation puisqu’une entreprise de titrisation achète des prêts à plusieurs interlocuteurs et remet tout ceci dans une masse de créances que l’on appelle en France « le fonds commun de créances », et ils vendent ce fonds par petits bouts.

Ainsi donc, au bout du compte, personne ne sait plus ce que vaut en réalité la créance initiale et dès lors que le marché apparaît risqué, tout le monde se met à placer des provisions. D’où les pertes abyssales annoncées par certaines banques.

Dès lors tout détenteur d’actions de ces banques ayant passé de grandes provisions doit lui même passer des provisions sur les actions de la banque initiale et ainsi de suite. C’est pour cela que le système a commencé à décliner et qu’il a fallu des sommes considérables pour empêcher que la crainte ne se répande dans l’ensemble du système par un effet domino lié au fait que tout ce monde-là est complètement en lien.

On voit donc que la crise financière provient d’abord d’une recherche de rentabilité à tout prix des placements effectués.

Mais cette crise financière, et c’est le deuxième point, a provoqué une crise économique.

Cette crise financière et les sommes colossales distribuées dans l’économie font craindre que ne se créent de nouvelles bulles spéculatives grâce à l’utilisation des sommes ainsi répandues. En particulier, les banques qui ont reçu des sommes à des prix très faibles aux Etats-Unis peuvent êtres tentées de reprêter ces sommes sur des marchés où les taux d’intérêt attendus sont plus élevés sans qu’il n’y ait aucun lien avec l’économie réelle.

La crise économique résulte directement de cette crise financière. En effet la situation des banques était telle qu’elles n’étaient plus en état, ou qu’elles ne souhaitaient plus courir des risques nouveaux dans le secteur naturellement exposé qui est celui des prêts aux entreprises et qui est d’ailleurs un secteur moins rentable que les crédits aux particuliers.

Par ailleurs, la crise sur le marché immobilier a provoqué une réduction extrêmement rapide de la construction de logements neufs. Or aux Etats-Unis, mais plus encore dans des pays comme l’Espagne, le BTP constitue un des moteurs de la croissance. L’arrêt ou du moins le très fort ralentissement du crédit aux entreprises, lié à la situation économique et comptable des banques est la raison essentielle pour laquelle le taux de croissance a soudain chuté du fait de l’impossibilité dans laquelle se sont trouvées les entreprises de procéder à de nouveaux investissements. Or le développement économique est générateur à la fois d’emplois mais aussi de ressources tant pour la consommation que pour les pouvoirs publics. La crise économique a donc eu comme effet de réduire à la fois le pouvoir d’achat des consommateurs lié aux restrictions d’emplois, aux restrictions d’horaires, mais également une limitation des ressources de la puissance publique liée au fait que les résultats des entreprises ont soudain beaucoup chuté et que les taxes diverses telles que la TVA ont également diminué.

Mais la crise économique est aussi une cause de la crise sociale et c’est le troisième élément.

La crise sociale que nous connaissons, c’est la crise de l’emploi. C’est cette crise de l’emploi dont on peut penser que même si la crise financière est pour le moment enrayée ; même si la crise économique est peut être arrivée à son point d’arrêt à partir duquel on peut assister à une reprise ; la crise sociale de son côté ne semble pas pour le moment devoir cesser.

En effet on constate que dans les entreprises aujourd’hui, les responsables cherchent à rétablir les marges, à se désendetter, afin de pouvoir répondre plus facilement à une éventuelle nouvelle crise car les chefs d’entreprise majoritairement ne sont pas certains que la situation va se rétablir.

On doit cependant noter que cette crise sociale qui est liée à une forte déstructuration du tissu économique et en particulier du tissu industriel, touche très inégalement les diverses populations. On peut penser que près de 70% de la population française n’est aujourd’hui pas touchée par la crise car ils appartiennent à des secteurs protégés. Nous pensons en particulier à tout le secteur des retraites, des fonctionnaires, du secteur bancaire, d’assurance, de santé, qui pour le moment, en tout cas, n’a pas ressenti les effets de la crise. Celle-ci est donc d’autant plus violente qu’elle ne touche qu’une partie de la population.

Mais il faut bien noter que la crise sociale est aujourd’hui déconnectée de la reprise économique du fait de la volonté des entreprises de ne pas prendre de risques aussi longtemps que la conjoncture n’est pas rétablie.

Nous sommes intervenus sur les trois principaux aspects de la crise mais on peut en citer au moins deux autres.

Le premier est la crise de la gouvernance européenne. On a bien vu depuis le G20 de Londres, au lendemain duquel les Chefs d’État qui la veille s’étaient mis d’accord pour assurer une coordination des politiques ont annoncé chacun de leur côté des plans de relance indépendants les uns des autres et selon des priorités loin d’être identiques selon les pays. On le voit encore aujourd’hui dans les différentes crises dans le monde, l’Europe n’arrive pas à parler d’une seule voix. Elle ne pèse donc pas dans l’ensemble du concert des nations.

La seconde crise est la crise de la politique. En effet on voit bien qu’elle ne sait pas quoi répondre. Le Chef de l’Etat français a fait de très belles déclarations au G20 de Londres, au sommet de Copenhague sur le climat. Mais on ne voit à peu près aucune décision ressortir dans la mesure où, dans les économies modernes, ce ne sont plus les Etats qui ont tous les leviers. Ils les ont à travers l’impôt ; ils les ont à travers la finance publique ; mais lorsque celle-ci a atteint son maximum, ce qui est le cas chez nous avec l’explosion du déficit public et la création d’une nouvelle bulle financière, la politique ne peut plus grand-chose et les paroles politiques se trouvent ainsi décrédibilisées.

Cette crise a permis des prises de conscience. Deux, majeures, me paraissent évidentes : la prise de conscience écologique, et la prise de conscience des méfaits d’une économie financière.

La crise écologique ne date pas d’hier, mais elle prend une nouvelle importance face à l’interrogation sur notre modèle de développement. La crise a révélé combien notre modèle de développement était fragile. On a constaté que, alors que l’Europe était en crise et que les Etats-Unis l’étaient également, des pays comme la Chine et l’Inde, s’ils connaissaient une croissance ralentie, n’ont pas pour autant connu réellement la crise. Et ces pays continuent à produire dans des conditions qui sont écologiquement probablement dramatiques.

La crise écologique conduit très probablement à un changement de paradigme politique. Il faut aujourd’hui réfléchir à la manière dont les pays qui ne connaissent pas notre modèle de développement peuvent continuer à se développer en utilisant des technologies moins dévastatrices. C’est un enjeu pour les pays développés, mais c’est aussi la possibilité pour nous, pays occidentaux, de réfléchir à la manière dont nous pouvons continuer à assurer une croissance dans le respect de la cohésion sociale, sans pour autant condamner les pays émergents à la stagnation. La mondialisation impose probablement que tous les pays puissent aujourd’hui connaître une croissance régulière.

La deuxième prise de conscience : les méfaits d’une économie financière. Il est probablement inutile d’y revenir, tant aujourd’hui on sait combien la priorité donnée au capital et à la rentabilité de celui-ci peut constituer une menace. La seule question est de savoir si cette prise de conscience permettra aux gouvernements d’imposer leurs idées au monde financier, ou si au contraire celui-ci continuera à faire ce que bon lui semble.

Il y a cependant trois changements majeurs introduits dans le monde par cette crise.

Le premier est la réhabilitation du rôle de l’Etat ; non pas comme fournisseur de biens et de services, mais comme régulateur. Sans les Etats la crise eût été beaucoup plus importante et des Etats comme les Etats-Unis ont montré qu’un Etat intervenant pouvait ne pas provoquer les catastrophes que les « anti-collectivistes » ne cessent de mettre en avant.

Le deuxième changement a été la mise en cause de la répartition des profits à l’intérieur des entreprises, mais aussi entre les pays. C’est, au niveau international, la lutte contre les paradis fiscaux visant à rapatrier dans leur pays d’origine les profits réalisés par les entreprises. Mais, dans les entreprises, c’est la remise en cause de la répartition entre profits distribués, mise en réserve afin de développer le savoir faire des entreprises et la recherche développement, et la juste rémunération du travail.

Le troisième changement majeur, c’est la prise de conscience dans certains milieux - et en particulier dans le milieu chrétien - de la nécessaire revalorisation du travail pour ne plus en faire une variable d’ajustement. Il est clair en effet que dans l’ensemble des crises que nous avons décrites, la plus importante est la crise sociale, celle qui touche directement les salariés à travers les différents plans sociaux que nous avons pu connaître. La force de travail apparaît aujourd’hui de plus en plus comme la variable d’ajustement ; elle n’est pas respectée dans sa valorisation lorsque l’on voit les écarts de salaires se creuser de manière gigantesque comme on a pu le constater. Alors même que la crise est encore là, on voit à l’intérieur des banques revenir les bonus, les traders, etc., c’est-à-dire la récompense d’une certaine forme de travail au détriment d’une autre.

Y a-t-il à travers ces différents aspects de la crise et ces changements, des lignes d’espoir ?

Pour les Chrétiens, il semble que cette dévalorisation du travail doit être le premier point sur lequel il convient d’insister. Il n’est pas normal que dans la société actuelle, il n’y ait pas juste rémunération de leur apport pour chacun des facteurs de production. Marx insistait sur les trois facteurs de production : nature, capital et travail. Et l’on voit bien aujourd’hui que c’est le travail qui souffre le plus. Or derrière le travail, ce sont des hommes qui doivent vivre dans la dignité, des hommes qui doivent être respectés et qui doivent pouvoir valoriser leur capacité de création.

L’autre élément important de cette crise, c’est la crise écologique. Et là encore la responsabilité des chrétiens est tout à fait importante. Dieu à confié la terre aux hommes et les hommes sont en train de la détruire. Pouvons-nous laisser détruire ce que Dieu nous a confié ?

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François SOULAGE

Président national du Secours catholique de France.

Publié: 01/04/2010