Aux blessés de l’emploi

ASSEZ !

Au cours des mois écoulés, plusieurs entreprises ont fermé leurs portes dans le Pas-de-Calais. Des hommes et des femmes, parfois bien éloignés de l’âge de la retraite, ont perdu leur emploi et sont entrés dans une période de désarroi. Aujourd’hui plus de huit cents salariés de la société Métaleurop sont touchés. La fermeture de l’usine de Noyelles-Godault va entraîner dans son sillage la disparition presque anonyme de plusieurs centaines de postes de travail dans les environs.

L’alignement des chiffres ne révèle qu’un aspect des souffrances humaines occasionnées par la mise sur la touche de personnes soudainement amputées d’une partie d’elles-mêmes. La condition de salarié offre le gagne-pain. Elle ouvre la voie de l’insertion dans la société, la cité. Elle donne les moyens à chacun de contribuer au bien de tous.

Des licenciements ne s’analysent pas en énumérant des statistiques. Ils frappent et déstabilisent des individus, des couples, des familles, des villages et des villes. Ils modifient et brisent des relations sans lesquelles il n’est pas de vie commune possible.

Pourquoi faut-il que la population du Pas-de-Calais et du Nord tout proche qui a payé dans son histoire un lourd tribut à l’industrialisation, aux mutations et aux restructurations soit, à nouveau, victime du naufrage d’une entreprise ?

Pourquoi faut-il qu’un personnel qui a vu sa santé et celle de ses enfants exposées soit si injustement abandonné et, osons-le dire, méprisé par ceux-là même qui ont bénéficié de son labeur et engrangé la richesse qu’il a contribué à créer ?

Pourquoi faut-il que, dans l’indifférence des responsables, un sol et un environnement dégradés demeurent le seul bien qui restera en héritage à des ouvriers, à des cadres, à des habitants ? Tous, ils sont attachés à une terre où, grâce à eux, et malgré un cadre rude et austère, il fait bon vivre.

Aucune entreprise n’a les promesses de l’éternité. De réels obstacles peuvent se dresser sur la route des dirigeants. Il est cependant inadmissible et inacceptable que la création et la disparition des outils de production obéissent à des seuls mobiles financiers. Le libéralisme débridé tue la liberté et anesthésie l’homme. Le toujours plus de la logique du profit ne saurait l’emporter sur le toujours mieux de la dignité et de la grandeur de l’être humain.

L’ouverture des frontières en Europe et dans le monde constitue une chance quand elle rapproche les peuples, les cultures, les ressources et les capacités. Elle devient instrument de déshumanisation lorsqu’elle exploite les déséquilibres pour tirer avantage de la pauvreté ou utiliser la faiblesse de dispositions législatives et sociales.

Amis qui traversez la tempête, je n’ai pas besoin de vous dire que l’Église fait route avec vous. Elle n’est pas extérieure à vos inquiétudes. Certains d’entre vous en sont les membres. Votre épreuve est tout naturellement la sienne. Elle se veut solidaire, avec tant d’autres, de votre courage, de votre volonté. Elle rejoint ceux qui ne se résignent pas et se mobilisent parce qu’ils croient en l’avenir de nos départements du Pas-de-Calais et du Nord, de leurs populations. Cette Église ne pourra jamais oublier qu’elle met sa foi dans le Fils de Dieu qui a donné sa vie par Amour pour tous les hommes. En son nom, elle n’a pas d’autre ambition que de servir. Avec vous, elle crie aujourd’hui : Assez !

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Jean-Paul JAEGER

Évêque d’Arras, Boulogne et Saint-Omer.

Publié: 21/04/2003