Jéricho Soir - Édition de janvier


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Jean : Une journée particulière
Le Baptiste s’est effacé hier devant un homme qu’il a désigné comme le sauveur.

La chaleur semble avoir durci un peu plus les pierres du désert. Elle n’a pas empêché les fidèles de Jean, celui qui prêche le salut et baptise dans le Jourdain, de venir sur les rives du fleuve recevoir sa parole et accepter de s’immerger en vue du pardon des péchés. Ce rite, qui caractérise celui qu’à Jérusalem on surnomme parfois le contestataire du Jourdain, attire de plus en plus de monde. L’ascétique prophète ouvre son enseignement à tous, au contraire de ceux qu’il épingle au détour de ses discours : sadducéens et esséniens. Les uns useraient de la roublardise de leur intelligence pour se couler entre les commandements de la loi, les autres pratiqueraient une exigence d’élite raffinée.

La doctrine de Jean apparaît particulièrement séduisante à ceux qui attendent la venue du Messie, à ceux que la loi réprouve, aux exclus, qui devinent dans le baptême-pardon des péchés une source d’espérance précieuse dans une époque qui en réclame tant. Jean, toutefois, n’a jamais dissimulé son dessein : "Pour moi, je vous baptise dans l’eau en vue du repentir, mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales, lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu."
Ces derniers jours, à Béthanie, la foule s’est pressée autour du baptiste. Il a de nouveau asséné ces stances, qui jettent le trouble dans les esprits. Comme chez ce modeste commerçant de Jéricho, baptisé depuis une quinzaine de jours et qui s’interroge dans sa ferveur : "Jean est-il, oui ou non, celui que nous attendons ?"

La réponse est peut-être tombée avant-hier. L’assistance était particulièrement dense. Les murmures qui l’agitent s’interrompaient lorsque Jean s’adressait à tous.

Sa voix s’élevait au-dessus des flots. Sa silhouette posée au bord du fleuve, à l’endroit précis où l’eau se marie avec le rivage, gardait captifs tous les regards.

Le silence a pris, soudain, une qualité inhabituelle. Le prédicateur, désignant un homme, a lâché une phrase qui a fait bondir le cœur d’un grand nombre.

L’homme, d’une trentaine d’années, arrive de Nazareth et se nomme Jésus. Lorsqu’il s’est approché de Jean pour recevoir à son tour le baptême, celui-ci s’est incliné devant quelqu’un sans doute pour la première fois de son existence. Il s’est même montré réticent à accomplir l’acte sacré : "C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi", avant d’ajouter à l’adresse de la foule : "Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. C’est de lui que j’ai dit : “Derrière moi vient un homme qui est passé devant moi parce qu’avant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas, mais c’est pour qu’il fût manifesté à Israël que je suis venu baptisant dans l’eau.”"

Jésus a écouté Jean avant de lui répondre : "Laisse faire pour l’instant, car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice."

L’affaire aurait pu en rester là. Un témoin a rapporté son désarroi. Le Jésus apparu aux côtés de Jean est-il l’un de ses disciples les plus brillants, l’un de ceux qui l’entourent et défend leur différence par rapport aux autres groupes baptistes, nazôréens, sabéens, masbothéens, plongeurs du matin et autres ? Est-il celui auquel Jean a préparé le chemin ? Ces questions sont restées peu de temps en suspens. Un événement a surgi pour en interrompre la litanie. Un signe. Les cieux se sont ouverts, une colombe en est descendue pour voler vers Jésus. Une matérialisation de l’Esprit Saint.

Nombreux sont ceux qui affirment avoir entendu une voix d’en-haut dire : "Celui-ci est mon fils bien-aimé, qui a toute ma faveur."

Jésus est resté quelque temps au bord du Jourdain. Selon certains, le lendemain de son baptême et

de sa désignation divine, Jean, entouré de deux disciples, a lancé sur le passage de Jésus : "Voici l’agneau de Dieu." Les deux hommes, dont un certain André, ont emboîté le pas au Nazaréen. Se retournant, ce dernier leur a lancé : "Que cherchez-vous ?" Ils lui ont répondu : "Rabbi, où demeures-tu ?" Jésus les a invités à le suivre : "Venez et voyez." Au fil de son trajet vers la Galilée, de nouveaux hommes se sont joints à eux. Selon d’autres, le petit groupe immédiatement constitué autour de lui l’aurait rejoint sur les bords de la mer de Galilée. Des frères en ont entraîné d’autres. Des pêcheurs ont abandonné leur barque pour le suivre. L’un d’eux a apostrophé ainsi ses amis : "Celui dont Moïse a écrit dans la loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé."

L’action de Jean est remontée jusqu’à Jérusalem. Des dents grincent à son sujet dans les allées du Temple. Jésus pourrait bien, tôt ou tard, provoquer le même émoi chez les prêtres. Jéricho Soir vous tiendra au courant de ce que localement on considère déjà comme l’affaire Jésus.

EN BREF

La terre a tremblé

Un tremblement de terre d’une violence épouvantable a secoué à plusieurs reprises toute la province d’Asie Mineure. Les secousses ont fait s’effondrer les maisons de villages entiers, dans une telle poussière qu’il a fait nuit en plein jour. Le nombre de morts et de blessés est actuellement indéterminé, mais il dépasse d’ores et déjà le millier. Douze villes fortement peuplées, autour d’Ephèse, ont été rasées.

L’empereur Tibère, aussitôt qu’il en a été prévenu, a dépêché l’armée sur place pour aider au secours et à la reconstruction.

Des soldats ont été envoyés dans toute la province pour rassurer ceux qui y voyaient le présage de la fin du monde, et annoncer les décisions de l’empereur. Pour aider à la reconstruction, Tibère remet tous les impôts de la province, et Rome prêtera des crédits sans intérêt.

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Prédication de Jean-Baptiste de l’immersion du Christ

L’enfant né de Zacharie et d’Elisabeth est devenu homme. Mais il n’est pas resté auprès de ses parents, n’a pas fondé de famille. Il s’est retiré dans le désert de Judée où il prépare la venue du Royaume du Seigneur. Vêtu, comme Elie, d’un manteau de bure et ceint d’un pagne de peau, il se nourrit, dit-on, de sauterelles et de miel sauvage. Nombreux sont ceux qui viennent à lui se faire purifier et pardonner leurs fautes par l’immersion du corps. A chacun il prêche le repentir.

Aujourd’hui, ce Jésus dont la naissance a été comblée de signes, est venu de Nazareth, en Galilée, se faire baptiser par Jean au désert. Or, à la stupeur de tous ceux qui étaient présents, Jean a refusé. C’est au contraire lui, clamait-il, qui devait recevoir le baptême de son visiteur. Jésus, cependant, l’a convaincu que les choses devaient être comme lui les disait, que la justice ne pouvait être respectée qu’ainsi. Et Jean s’est incliné, il a fait selon son désir et l’a immergé dans le Jourdain. Mais, tandis que Jésus ressortait du fleuve, les cieux se sont ouverts, une colombe est venue à lui et une voix a retenti. Tous purent l’entendre. Elle s’adressait au Nazaréen et disait "Tu es mon Fils".

Alexandrie la belle

 
Alexandrie la belle, "l’éternellement mémorable", la "très brillante", la "tout à fait royale", capitale des Ptolémées et ville résidence du préfet romain, Alexandrie est fastueuse.

De Ptolémée I Sôter à Cléopâtre VII, les rois qui s’y sont succédé ont tenu à faire de leur ville la capitale digne de leurs ambitions.

Située sur une bande de terre séparant la mer du lac Manout, très ouverte aux vents du large, sa rade est fermée par une barre de récifs dangereux pour la navigation.

Mais Alexandre en faisant construire une digue joignant l’île de Pharos à la terre a permis à la ville d’avoir un second port et lui a donné son essor.

On retiendra d’Alexandrie surtout le phare, avec ses tritons de bronze aux angles et son feu, que les miroirs reflètent très loin en mer ainsi que sa bibliothèque qui a compté jusqu’à 50 000 ouvrages avant la catastrophe qui l’a vue brûler il y a cinquante ans.

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Dieu est mon seul maître
Le mouvement de résistance à l’occupation romaine prend de l’ampleur. Réfugiés dans les montagnes sous les ordres de Judas de Galilée, les révoltés divisent l’opinion à Jérusalem.
Pas un Galiléen, pas un Judéen, et même pas un Samaritain n’aurait osé parier un denier sur l’avenir politique de Judas de Gamala (également surnommé Judas le Galiléen), quand il se réfugia il y a quinze ans déjà dans le plateau du Golan, pour lutter contre l’occupation romaine. L’épine qu’il a plantée dans le pied romain est aujourd’hui un abcès. Ses troupes ne cessent d’augmenter, et aucun Romain n’ose plus s’aventurer dans les montagnes galiléennes.

Selon nos informations, Judas le Galiléen serait le fils du célèbre Ézéchias, qui lui-même se révolta contre les Romains et contre le pouvoir du roi Hérode. Ce dernier démantela sa bande et fit exécuter son chef. Judas n’aurait échappé que de justesse à la colère royale. Sitôt Hérode mort, il a pris la suite de son père et s’est judicieusement emparé de l’arsenal de Séphons, avec l’aide d’un groupe de partisans.

Son mouvement, même ainsi armé, se serait sans doute épuisé de lui-même. Tout le monde a en mémoire cet ancien esclave d’Hérode qui s’était fait déclarer roi de Pérée par ses suiveurs, ou ce berger galiléen qui s’était pris pour un roi pendant plusieurs années. Tous deux ont finalement péri dans l’indifférence générale. La maladresse romaine a, en revanche, servi Judas. Le procurateur Quirinius a eu l’idée malencontreuse d’ordonner le célèbre recensement, pour que personne n’échappe à l’impôt de César. On se souvient alors de la dramatique ligne de fracture qui divisa les Juifs de Jérusalem. Le grand prêtre Joazar conseilla de se plier aux exigences de l’occupant, alors que Judas, soutenu à Jérusalem par le pharisien Sadoq, proposait au peuple de résister.


Il fit répéter partout que la honte était grande de consentir à payer tribut aux Romains, et surtout de tolérer d’autres maîtres, mortels de surcroît, que Dieu. L’homme est maintenant solidement protégé par une troupe armée de plus en plus nombreuse, réfugiée dans les hauts plateaux, mais possédant des relais sûrs à Jérusalem. L’ampleur du mouvement et les difficultés qu’il pose désormais aux autorités, tant romaines que juives, font qu’il est aujourd’hui urgent de se demander si le révolté n’est pas, tout simplement, à la tête d’une bande de fanatiques.

Pour les uns, il est animé d’un invincible amour de la liberté. Pour les autres, il n’est qu’un brigand qui trouble l’ordre public afin de satisfaire ses ambitions personnelles. La question divise en tout cas tout Jérusalem. Le Galiléen est soutenu par le peuple, les sadducéens lui sont en revanche fermement opposés, de même que tous ceux qui collaborent avec les Romains. Quand aux pharisiens, même s’ils le condamnent publiquement, il semble que nombre d’entre eux le soutiennent secrètement. Les seuls unanimes sont les Romains, qui accumulent les pertes, et ne savent comment laver cet affront.

Réédition des règles d’Hillel

Les scribes de Jérusalem préparent une réédition complète des sept règles du grand écrivain pharisien Hillel. Le succès de son œuvre, dont la première rédaction date de trente ans déjà, fut tel chez les intellectuels de Jérusalem, chez les prêtres, puis chez les Juifs du monde entier, que même dans les bibliothèques il est aujourd’hui difficile de se la procurer.

Le maître Hillel renouvela l’art d’expliquer, par son enseignement réparti en sept règles, les techniques de lecture de la Bible. Pour lui, toute l’Ecriture étant la Parole du Très-Haut, il ne faut pas craindre de trouver plusieurs sens à la même ligne. Il appartient donc aux rabbis, aux prêtres, à tous ceux qui récitent leurs prières chaque jour dans la solitude de leur chambre, de saisir les significations des contradictions apparentes du texte sacré, afin de rechercher la paix, aimer les créatures et les rapprocher de la Torah. C’est ainsi qu’Hillel a montré comment toutes les réponses à toutes les questions, à tous les problèmes de tous les temps, sont présentes dans la Bible, à condition qu’on veuille bien les y chercher. Plusieurs des disciples de son école ont demandé que ses règles soient insérées dans les prières du matin. L’école pharisienne concurrente de rabbi Shammaï ne s’y opposerait pas.

EN BREF
Rome : un décret du sénat interdit la pantomime

A la demande de l’empereur Tibère, un décret du sénat interdit désormais aux sénateurs d’entrer dans la maison d’un pantomime, et aux chevaliers d’en accompagner dans la rue. Les protestations des acteurs, rappelant à l’empereur le souvenir de son père Auguste et de son ami Mécène, qui prenaient plaisir aux spectacles de Bathyllus, n’ont servi à rien. Après que plusieurs acteurs ont été renvoyés de Rome, cette nouvelle mesure renforce, à Rome, l’impopularité de l’empereur, dont les goûts sont jugés trop éloignés de ceux du peuple.

Cirque

Une nouvelle fois Tibère a refusé au peuple des gradins de pierre dans le Circus Maximus. Le plus ancien cirque de Rome est aussi le plus grand, et il accueille jusqu’à cent cinquante mille personnes. Il est courant que de sinistres craquements couvrent le vacarme des cris, quand la foule s’agite aux moments de liesse. Auguste, en son temps, se portait vers le point le plus menacé pour rassurer le peuple. Tibère, lui, s’établit dans une loge d’apparat spécialement construite à son intention. Répondant à la foule, il expliqua à juste titre que si les gradins s’effondraient, ce qui n’est jamais advenu, sa loge ne le protégerait pas de la panique.

Un mouvement de panique, la semaine précédente, d’une troupe de vingt éléphants dressés à combattre, explique la doléance. Plusieurs bêtes ont chargé, défonçant les grilles de protection qui les séparent du public. La foule, en reculant, fit craquer les gradins.

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Jean-Michel DI FALCO

Evêque émérite de Gap et d’Embrun.
Fondateur du groupe de chanteurs "Les Prêtres".

Publié: 01/01/2021