La passion selon Job

La souffrance a-t-elle un sens ?

Un conte poétique écrit pendant la période de l’exil (587 à 538 avant J.-C.), à interpréter comme « une tentative de l’homme en désarroi pour se situer en face de Dieu » (TOB). Le livre de Job ne répond pas à la question : « D’où vient le mal ? » mais à celle de la souffrance du « juste ».

Le livre débute par un prologue en prose qui montre le satan (l’adversaire) se présenter à la cour céleste pour proposer à Dieu de mettre la piété du très riche Job au défi des épreuves concernant successivement ses biens, sa famille. « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté : que le nom du Seigneur soit béni » est la première réponse de Job. Mais son langage change radicalement le jour où il est atteint dans sa santé.

A. Lecture abrégée des discours de Job

  • Job fait l’apologie de tous ses mérites () et de sa renommée ()
  • Étale sa misère actuelle (, ) jusqu’à regretter d’être né () et se trouver tenté par la mort ()
  • S’interroge sur l’impunité du méchant ()
  • Demande à Dieu de s’expliquer (, ). Mais Dieu reste sourd (, )
  • Pourtant Dieu peut tout dans l’histoire humaine () et sur la nature ()
  • Il en déduit que Dieu fait fi du droit ().

Cependant, malgré tous les griefs qu’il a contre Dieu, Job ne rompt jamais le dialogue. Il reste croyant. Primo Levi écrit dans « Si c’est un homme » : « Il y a eu Auschwitz, il n’y a pas de Dieu. »

B. Les trois amis sont mis au défi de prouver sa culpabilité ()

  1. Elifaz, dans ses trois interventions, reproche à Job la fragilité de sa foi et voit dans ses épreuves la sanction de fautes cachées. Il recommande la maîtrise de soi et l’humilité : Job se condamne lui-même dans son langage.
  2. Bildad fait valoir que la justice de Dieu ne peut être prise en défaut : il punit toujours le méchant. Mais l’homme ne peut « être juste » devant lui.
  3. Sofar rappelle à Job que le bonheur du méchant est bref, que le Seigneur l’anéantira (). Il lui reproche sa présomption et son manque de jugement.

Les trois amis cherchent à justifier les épreuves de Job, tout en lui assurant le pardon s’il reconnaît ses fautes (, , ). Ils veulent justifier Dieu en soutenant la thèse de la rétribution divine. À la manière humaine de concevoir la justice. Un quatrième personnage, Elihu, intervient pour blâmer Job et reprocher aux trois amis d’avoir mal défendu Dieu (, ).

C. La Réponse de Dieu et le repentir de Job (chapitres 38-42)

Tout à la fin et pour la première fois, Dieu s’adresse à Job, l’interroge « Où étais-tu... ? ». Suit une longue énumération des œuvres de la sagesse et de la puissance divine dans tous les domaines de sa création. Job se trouve dans l’incapacité de répondre.
Job, en s’estimant parfait, a mis Dieu dans l’obligation de le reconnaître en retour, lui dictant la conduite à tenir à son égard. « Vouloir un lien avec la perfection morale de l’homme et son bonheur, c’est concevoir Dieu comme un homme d’affaires qui traite avec ses clients. Job pensait que son intégrité lui avait acquis des droits sur Dieu. À la fin Job découvre sa faute : il est devenu un ‘juge-Dieu’. La culpabilité de Job n’est pas d’ordre moral. Elle est celle de l’homme qui non seulement se croit maître de sa destinée mais aussi s’érige inconsciemment en être divin puisqu’il porte un jugement sur Dieu. » (TOB)

Quand l’homme veut se justifier, il condamne Dieu.
Job n’a pas trouvé de sens à la souffrance mais elle lui a permis de modifier son regard sur Dieu.

D. Relecture chrétienne

Le succès du livre de Job dans la tradition chrétienne provient, outre de sa qualité d’expression, du fait qu’il reflète ce que chacun peut être amené à vivre et à exprimer. Si le livre de Job est peu cité dans le NT ( « l’endurance de Job » ; « Dieu prend les sages à leur propre ruse »), la souffrance et le mal et la non-intervention de Dieu font problème au croyant. Primo Levi, un survivant de la shoah, conclut dans « Si c’est un homme », à l’inexistence de Dieu : "Il y a Auschwitz, il ne peut donc pas y avoir de Dieu". Par contre, un rabbin juif écrivait : « L’homme ne peut exister que parce que Dieu renonce à exercer son pouvoir sur lui. »

La vraie liberté ne consiste pas à choisir entre le bien et le mal. L’homme choisit toujours ce qui est « bien » pour lui, selon sa propre estimation. Mais n’est vraiment libre que celui qui choisit le Bien en soi. Celui qui choisit le mal est esclave : « Nous savons, certes, que la loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu comme esclave au péché. » ().

21. Immanence de la justice divine ou inévitable coexistence du bien et du mal impuni ?

La réponse de Jésus.

La maladie, le handicap et les souffrances qui en découlent ne sont pas des « punitions divines ». Lors de la rencontre de l’aveugle de naissance « ses disciples lui posèrent cette question : ‘Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ?’ Jésus répondit : ‘Ni lui, ni ses parents’. » ().

Jésus a combattu la souffrance en de nombreuses guérisons qui sont présentées comme des signes de sa mission de salut : « C’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ! » ().

Pour Jésus la coexistence du bien et du mal (même impuni), est inhérente à la condition humaine. « Des pauvres, vous en aurez toujours parmi vous. » (). À ses disciples qui voulaient aller arracher l’ivraie, Jésus répond : « Non, de peur qu’en ramassant l’ivraie vous ne déraciniez le blé avec elle. » ().

Si la souffrance n’a pas de sens « en soi », elle a des fonctions.

22. Les fonctions de la souffrance

1. La souffrance comme lieu d’interrogation pour l’homme. L’absence de souffrance (santé, « bonheur ») est silencieuse et n’interroge pas. Mais la souffrance « nous oblige à descendre au dernier repli de nos profondeurs » (F. Nietzsche). Elle interroge d’autant plus bruyamment lorsqu’elle est considérée comme injuste, imméritée. « On ne souffre jamais que du mal que nous font ceux qu’on aime. » (Victor Hugo). Jésus a connu cette souffrance. « L’homme est un apprenti et la douleur est son maître. Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert » (Alfred de Musset).

2. La souffrance, cause de rupture et d’isolement, de révolte, d’agressivité, déshumanise. Elle transforme notre relation à l’autre, « l’individualise » (H. Arendt), l’isole jusqu’à l’enfermement sur soi. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. » (Lamartine).

3. On peut trouver à la souffrance une fonction humanisante, lieu de communion et chemin de solidarité. La compassion n’existerait pas s’il n’y avait la souffrance de l’autre. Le pardon n’existerait pas s’il n’y avait l’offense. La générosité n’existerait pas s’il n’y avait la pauvreté. La fidélité n’existerait pas s’il n’y avait la trahison. L’homme ne s’interrogerait pas sur le sens de sa vie s’il n’y avait la mort. Parce qu’il souffre, il est mon semblable. L’expérience personnelle de la souffrance nous rapproche davantage de celui qui souffre, sans pouvoir jamais la rejoindre. Seuls ceux qui souffrent peuvent parler à des souffrants (comme Jésus et le bon larron). Mettre une croix dans la chambre d’un grand malade a du sens.

La souffrance comme l’expression la plus forte de l’amour. « Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime. » (). Dans le Christ, la souffrance devient le lieu d’explosion de son amour pour l’homme. Alors que la souffrance isole ou conduit à condamner, l’amour qui va jusqu’au don de soi rapproche et sauve : « Tu seras avec moi au Paradis ... Père, pardonne-leur ... ».

Jésus transforme la souffrance en trans-ascendance, comme la révélation la plus élevée de l’Amour de Dieu qui soit accessible à l’homme. La souffrance en elle-même et pour elle-même n’est pas rédemptrice. Ce n’est pas la croix, symbole de souffrance, qui sauve, mais l’amour qui va jusqu’à la croix.

« Je meurs parce que je t’aime ».

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Aloyse SCHAFF

Capitaine de Port Saint Nicolas.
Prêtre du diocèse de Metz. Fut professeur de sciences physiques et directeur du lycée Saint-Augustin à Bitche (57).
Activités pastorales dans les communautés de paroisses du Bitcherland.
Animation d’ateliers d’information et de réflexion sur les textes bibliques et l’histoire chrétienne : Pères de l’Eglise, fondateurs des grands ordres religieux, les grands papes, les grands saints du Moyen-Âge, du XVIe siècle. Des présentations à découvrir sur le site.

Publié: 09/04/2017