Le souper à Emmaüs (Rembrandt, 1648)

Anne-Sophie de Milo, conservatrice du musée de Port Saint Nicolas, a rencontré Michel Delval, prêtre du diocèse d’Arras, passionné de peinture et notamment celle des peintres du Nord (Pays-Bas, Flandres). Elle lui a posé quelques questions sur la toile "Le souper à Emmaüs" (1648), que l’on peut admirer au musée du Louvre.

A.-S. : Nous avons commémoré en 2006 le quatre centième anniversaire de la naissance de Rembrandt. Pouvez-vous nous présenter brièvement ce peintre ?

M.D.  : Il sera difficile de présenter brièvement celui qui est peut être le plus grand peintre de l’occident latin. Rembrandt est né (en 1606) et a vécu à Leyde, aux Pays-Bas. Il y fait son apprentissage et y ouvre son premier atelier. Puis il va à Amsterdam où il termine l’apprentissage de la peinture et de la gravure. Il connaît la richesse et les deuils (la mort de son épouse, de ses enfants…) puis la solitude et la faillite. Il meurt en 1669.

Rembrandt a parcouru tous les genres de la peinture, du paysage au portrait, il fut un important peintre de la Bible. Je voudrais citer parmi ses œuvres La leçon d’anatomie, La compagnie du capitaine Cook, qui sont, de fait, des portraits collectifs, d’innombrables portraits de notables, autoportraits, et aussi, parmi ses œuvres bibliques, Les pèlerins d’Emmaüs connu aussi comme Le souper à Emmaüs.

Rembrandt s’est peint de nombreuses fois. Ces autoportraits sont remarquables, surtout ceux de Rembrandt âgé : il ne fait aucune concession, il s’est peint tel qu’il est, avec les rides et les misères de l’âge et des déboires, des épreuves que l’on retrouve sur son visage.

Dans son parcours, au centre duquel se trouve Le souper à Emmaüs, Rembrandt a peint de très nombreuses fois des sujets bibliques, du premier comme du second testament (comme Bethsabée au bain pour l’Ancien Testament, ou Le Retour du Fils Prodigue pour le Nouveau Testament)

A.-S. : Entre 1626 et 1660 Rembrandt a représenté de nombreuses fois le thème d’Emmaüs. Pour quelle raison ? Y a-t-il une évolution au cours du temps ?

M.D.  : Rembrandt a représenté une dizaine de fois avec des œuvres peintes le repas d’Emmaüs. Il faut ajouter à cela de très nombreuses gravures et eaux fortes sur le même thème. Il n’est pas le seul à avoir peint les pèlerins d’Emmaüs : Caravage, Titien, Véronèse, Bloemaert ont aussi peint ce thème. Le tableau de 1648 est sans doute le plus évocateur du génie de Rembrandt.

En peignant le souper d’Emmaüs, Rembrandt s’est affronté au défi de rendre visible la réalité du Christ ressuscité qui n’est perceptible que dans la foi. Il s’est en quelque sorte affronté au défi de peindre la foi. Et toutes ses œuvres sur le thème d’Emmaüs sont une recherche tâtonnante et jamais terminée de cela. Le tableau du Louvre de 1648 atteint la perfection qui ne sera égalée par aucune des œuvres ultérieures.

Rembrandt est le peintre de la lumière (contrairement à Rubens qu’on pourrait qualifier de peintre de la couleur) et il joue avec les contrastes de la lumière et de l’ombre. Dans le tableau qui nous intéresse aujourd’hui le fond est sombre, brun, la tonalité d’ensemble est le brun, et c’est cette couleur brune qui, tout en restant brune, est éclairée par la lumière venant du Christ ressuscité.

Dans ce tableau Rembrandt saisit un seul instant, celui où Jésus rompt le pain, avec la réaction des deux disciples : l’un (à droite) précipite son regard vers Jésus, l’autre reste en retrait. Ni l’un ni l’autre ne regardent les spectateurs que nous sommes. Le dernier personnage, l’aubergiste, derrière, dont le visage est éclairé par le rayonnement qui vient du Christ, est assez étranger à ce qui se passe, n’est pas concerné. Il faut dire que les deux disciples ont cheminé longtemps et le Christ leur a expliqué les écritures. La scène se situe sur un fond sombre et très dépouillé. Aucune fioriture, aucune ornementation, la table est toute simple. Le Christ est tout entier à cet instant de la fraction du pain.

Cette chaleureuse lumière qui émane du Christ est exprimée essentiellement par la juxtaposition de la lumière et de l’ombre.
Devant ce tableau deux ou trois impressions me pénètrent ; le tableau me pénètre et je pénètre dans le tableau : une intériorité, avec cette chaleureuse lumière douce, le visage du Christ, est exprimée extérieurement, et cette intériorité a quelque chose du mystère de l’identité de Jésus, fils de Dieu, homme. C’est essentiellement ce que je ressens devant ce défi qui était de rendre visible une réalité de la foi, invisible en soi, simplement connaissable dans le regard de la foi, de la rendre visible aux yeux de tout humain qui regardera ce tableau.

Dernière remarque : pour vraiment apprécier ce tableau une reproduction sur papier ou sur écran ne suffit pas, le jeu des lumières est trop dépendant de l’éclairage de la photographie : il faut se rendre au Louvre. En regardant cette peinture originale, on la voit tremblotante : elle bouge, elle vit, ce qui est rendu par le jeu de la lumière et de l’ombre.

Pour aller plus loin :

 Rembrandt à Emmaüs, Max Milner, éditions José Corti, 2006.
 Rembrandt, le clair, l’obscur, Pascal Bonafoux, éditions Gallimard, 2006
 Rembrandt, Christopher Wright, éditions Citadelles & Mazenod, 2000 (plus technique)
 Rembrandt, Emile Verhaeren, éditions du Sandre, réédité en 2006, d’après une édition de 1904

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Michel DELVAL

Prêtre du diocèse d’Arras, professeur d’ecclésiologie à la Catho de Lille. (1930-2015)

Publié: 01/04/2023