La vocation de saint Matthieu

par le Caravage

Ce tableau ? Prenez le temps de le regarder. Il est du Caravage. Un grand peintre italien. Il représente la vocation de saint Matthieu.
Nous sommes à Rome. En 1600. Un rai de lumière froide jetée sous la fenêtre au volet ouvert. A côté d’un bureau de douane ou de change : on sait par l’évangile la profession de Matthieu.
On s’est assis tout autour de la table. Dehors. Ni pour trinquer, ni pour une partie de cartes, ni pour se raconter des histoires. L’affaire est importante : il s’agit d’argent … De pièces d’or qui passent vite de la main qui distribue à celle qui ramasse.

A droite, deux personnages debout : leur arrivée trouble manifestement le cercle des attablés. Pierre. Corps lourd et voûté. Habillé rustique d’un drap couleur de terre. Une touffe de cheveux mal peignés. De la main droite, il désigne timidement son percepteur … On le comprend … Sa main, c’est la main qui dit : "C’est lui." Derrière lui, le Christ. Presque caché par Pierre. Il arrive que les apôtres cachent le Christ. Il arrive à l’Église de le masquer. Mais on le voit quand même : visage découpé net par la lumière rasante dont on ne sait la source. Le bras droit bien tendu. Une main forte et souple, ni dure ni molle. Une main de Dieu, comme celle du Créateur peinte par Michel-Ange une centaine d’années plus tôt au plafond de la Sixtine. Le Christ désigne humblement mais fermement Matthieu, l’un des cinq attablés. C’est la main qui dit : "C’est toi."
Et de l’autre côté du tableau, cinq personnages : les deux qui sont à gauche ne voient rien d’autre que leurs pièces de monnaie. Fascinés par l’argent. Le plus jeune, assis, est manifestement myope. Il est courbé sur sa main d’Harpagon sous laquelle disparaissent les pièces. Le plus âgé, debout, a fixé ses bésicles pour mieux surveiller la transaction. Ces deux-là sont trop occupés pour se laisser distraire. Et les deux jeunes au centre ? Du beau monde ! Vêtements soyeux et chatoyants. Plumes aux chapeaux. Déjà, l’épée des grands. Déjà séduits par les éclats de mirage. Etonnés par l’arrivée des passants. Mais manifestement dérangés. Enfin, Matthieu. Absolument surpris. Les yeux ronds comme des rosaces d’églises romanes qui s’ouvrent à la lumière. De sa main gauche (la droite est encore occupée à distribuer les pièces), il se désigne, d’un air de dire : "Comment, toi, tu m’appelles, moi ? …" C’est la main qui dit : "C’est moi ?"

Je ne dirai presque rien de la main du Christ : celle qui dit "C’est TOI". Je crois trop pour en douter qu’il appelle aujourd’hui comme hier, sur les bords de l’Escaut comme sur les bords du lac de Tibériade.
Je ne dirai pas grand chose de la main de Matthieu. Celle qui dit : "C’est MOI ?" Sinon que dans une vie, cela vaut la peine de se laisser surprendre par le Christ ! C’est la grâce des grâces ! L’appelé sait bien qu’il n’est pas très digne. Jamais il ne se serait appelé lui-même ! Il n’arrive pas avec son glorieux passé. Il est ébahi comme l’ont été Matthieu, Pierre, André, Jacques et Jean, Judas aussi … et tous ceux et celles de tous les temps de l’Église qui se sont laissé appeler et qui n’ont pas eu peur de tout quitter pour le suivre.
Mais, je veux parler de la main de Pierre, celle de l’Église, celle qui dit : "C’est LUI !" Si elle n’était discrète, infiniment respectueuse, à peine tendue que pour montrer que c’est le Christ qui appelle, ce serait très bien ! Mais, en réalité, elle est peureuse, comme figée, presque paralysée. Il faut bien le reconnaître, nous sommes devenus trop timides pour appeler au nom de Jésus.

Je prie pour que le Christ nous délivre de notre peur à dire qu’Il mérite que l’on quitte tout par amour pour Lui. Je prie pour que les vocations ne soient pas comme les autoroutes : très belles à la condition qu’elles passent chez les voisins.
Je prie en particulier pour que nos familles, communautés paroissiales, mouvements apostoliques et spirituels, aumôneries, écoles catholiques sachent retrouver la foi et les mots pour dire le besoin urgent que notre Église a de jeunes prêtres.
Malgré leurs faiblesses et avec elles, ils nous appelleront à la sainteté et à la joie des Béatitudes ; ils nous donneront la Bonne Nouvelle, toujours bonne et nouvelle aujourd’hui : ils proclameront la foi en la Résurrection qui change tout ! Ils nous offriront les plus beaux gestes du Christ que sont les sacrements ; surtout celui de son Don, la messe : invitation, provocation à faire de toute notre vie une louange pour Dieu et un service des hommes. Et celui de son Pardon : ce pardon qui nous recrée, dans lequel Dieu par l’Église nous dit : "Tu sais, je t’aime ! Tu m’as peut-être manqué, mais je t’aime ! Et j’ai besoin de toi !" Ils guideront les communautés avec "charité pastorale", cet art qui consiste à accueillir et servir comme Jésus et par Lui. Avec exigence et miséricorde. Avec courage et patience. Avec justice et amour. En faisant et refaisant confiance, au risque d’être déçus. En devenant toujours les serviteurs des plus pauvres. En se laissant guider par l’Esprit et pardonner par le Christ, souvent.
Je prie pour tous les jeunes du diocèse. Pour qu’ils ne deviennent pas victimes des modes majoritaires, fascinés par les réussites mondaines et attirés par la vie facile.
Je prie pour qu’ils ne rougissent pas du Christ et qu’ils s’attachent à Lui. Pour qu’ils soient humblement fiers d’être du Christ, de l’Évangile et de l’Église. Sans craindre d’être différents, originaux et minoritaires !

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François GARNIER

Archevêque de Cambrai († 2018).

Publié: 01/10/2021