Etienne

Pierre-Paul Rubens (1577-1640) c. 1617. Huile sur bois. Triptyque ouvert : 437 x 530 cm. Valenciennes, musée des Beaux-Arts.

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Le récit de la mission et de la mort d’Etienne dans les Actes des Apôtres est long et l’œuvre que Rubens y consacre est immense. Comme la liturgie, nous y consacrerons deux jours. Etienne, « homme rempli de foi et d’Esprit Saint » (), est un des sept hommes choisis par les apôtres pour devenir ceux qu’on nommera diacres. Les Actes mentionnent qu’aussitôt, Etienne « opérait de grands prodiges et signes parmi le peuple », formule qui rappelle indéniablement celles employées par les évangélistes pour parler de Jésus. Etienne vit sa mission dans la suite du Christ, et comme lui, il rencontre des résistances.

Panneau de gauche. Vêtu d’une somptueuse dalmatique, l’habit liturgique des diacres, Etienne est représenté en orateur, trois marches lui servant de tribune. Sa tête est nue, son visage nimbé est « comme celui d’un ange ». Son geste exprime son éloquence et désigne les hautes colonnes du temple. Comme Jésus, il affirme que le temps du Temple est terminé : « Le Très-Haut n’habite pas dans des demeures faites de mains d’homme. » Comme Jésus, il affirme que la loi de Moïse est entièrement renouvelée, revivifiée en la personne du Messie, verbe de Dieu fait chair. Comme Jésus, il n’hésite pas à s’opposer fermement aux docteurs de la loi : « Vous qui aviez reçu la loi sur ordre des anges, vous ne l’avez pas observée, vos oreilles sont fermées à l’Alliance, vous résistez à l’Esprit Saint. » Comme ceux de Jésus, ses propos suscitent l’opposition : le grand prêtre vêtu de bleu et les spécialistes de l’Ecriture, dont la coiffe s’orne des phylactères, Paroles de la Torah, le cernent. Ils sont comme engoncés dans de larges drapés, la tête couverte, enfermés dans leurs habits comme dans leur vision de la Loi. Leurs visages sont violents comme ceux des bourreaux du Christ, et ils emploient les mêmes faux-arguments : « Nous l’avons entendu affirmer que ce Jésus, le Nazaréen, détruirait le Lieu saint et changerait les coutumes que Moïse nous a transmises. »
Etienne continue son discours, paisible. Il sait que la mission de Jésus l’a conduit à la mort. La Passion de Jésus est achevée, celle d’Etienne commence.

Panneau central. Relégués à l’arrière-plan, le Temple et les docteurs de la loi n’ont plus d’importance. Ce n’est plus le temps de la controverse. C’est le temps de la violence, d’un combat entre la vie et la mort, ordonnées selon deux diagonales parallèles.
En bas, les couleurs sont saturées, agressives, comme les pierres jetées pour tuer Etienne. Les corps dénudés mettent en valeur des musculatures forcées : ici seule la force physique importe.
Saisi dans ce mouvement de violence, Etienne, rayonnant de lumière bien que déjà blessé, s’en échappe par le regard. Selon le texte des Actes, il n’est pas seul à affronter la mort : « Rempli de l’Esprit Saint, il fixait le ciel du regard : il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu. »
Faisant le lien entre la vision glorieuse et Etienne, des anges aux teintes adoucies descendent vers lui. Peut-être s’agit-il des mêmes qui jadis avaient offert la loi de Dieu au peuple ? (cf. ) Mais c’est au nom de cette loi divine instrumentalisée qu’Etienne est mis à mort, et les anges sont toujours messagers de la vie divine : ignorant maintenant les docteurs de la loi, c’est à Etienne qu’ils apportent les palmes et les couronnes des vainqueurs et des martyrs. Il meurt, mais pour entrer dans la vie éternelle.
Ses dernières paroles renvoient à celles du Christ : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit » et « ne leur compte pas ce péché. »
Ses vêtements en tas, nouvelle allusion à ceux du Christ en croix, sont saisis par un homme qui, sans lancer de pierres, semble désigner Etienne à la vindicte publique. « Approuvant ce meurtre », Saul, le futur Paul, s’empare sans le savoir encore des vêtements du serviteur qu’il revêtira bientôt.
« Etienne s’endormit dans la mort. (…) des hommes dévots l’ensevelirent et firent sur lui de grandes lamentations. »

Le panneau de droite du triptyque ouvert présente ce temps silencieux des funérailles, après celui des cris meurtriers. Et Rubens manifeste que jusque dans sa mort, Etienne imite le Christ. Maîtrisant parfaitement les compositions de ses célèbres Descentes de Croix et Mise au Tombeau, il les reprend. L’effet de descente verticale est accentué par l’étroitesse du panneau. Le corps d’Etienne, vêtu de blanc comme un baptisé, est descendu, retenu par deux hommes aux allures de Nicodème et Joseph d’Arimathie et par un porteur torse nu.
Pour le pleurer, l’apôtre Jean, en bleu, et des femmes : Marie mère de Jésus, au visage affligé happé par l’ombre de son manteau sombre, Madeleine aux blonds cheveux, qui préserve les vêtements du défunt, d’autres encore, derrière. Tous les acteurs traditionnels de la sépulture de Jésus sont présents.
En bas, deux marches de pierre répondent à celles du 1er panneau, sur lesquelles Etienne se tenait pour prêcher. La vie et la mort d’Etienne sont un seul mouvement à la suite du Christ, participation à sa mission, à sa mort et à sa résurrection glorieuse.

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Venceslas DEBLOCK

Prêtre du diocèse de Cambrai, responsable de la Commission d’art sacré.

Publié: 27/03/2020