5e dimanche de Carême

1. « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle... Si quelqu’un veut me servir qu’il me suive. » Des paroles surprenantes. Dieu nous donnerait-il la vie pour qu’on ne l’aime pas, pour que l’on s’en défasse en vue d’une vie éternelle ? Jésus a aimé la vie, a admiré la nature en laquelle il a trouvé tant d’exemples à imiter, a donné les oiseaux en exemple. Il a aimé être invité. Il n’a jamais demandé de souffrir. « Réjouissez-vous » a-t-il répété comme ce père qui voit son fils de retour, cette femme qui retrouve la perle perdue ou ce berger pour la brebis retrouvée. La joie irradie l’évangile de Luc. Qu’a donc voulu dire Jésus ?

2. Derrière les mots se cache un autre enseignement. Ils sont prononcés dans un contexte dramatique. Jean a écrit tout son évangile dans la perspective de la mort-résurrection de Jésus. Ce récit en annonce les conditions et le sens. Sa mort sera à l’image de ce grain de blé qui doit disparaître, mourir, condition incontournable pour qu’il puisse germer et renaître dans un épi, porteur de graines en grand nombre. Dans la parabole du semeur, il avait dit que les échecs apparents, les grains répandus sur les sol rocailleux, sur le chemin des passants, dans les ronces, n’empêcheraient pas la moisson. A l’approche des dramatiques heures qu’il allait vivre, il voulut, une nouvelle fois, une dernière fois, révéler à ses disciples que la vie aurait le dernier mot.

3. Pour que ses disciples le suivent dans cette perspective. Comme le fit cet archevêque de San Salvador qui ne cessa de prendre la défense des petits paysans exploités par les grands propriétaires de son pays, alors le plus dangereux du monde. Lui-même fut menacé à de nombreuses reprises. Ce qui ne l’empêcha pas de commenter l’évangile de ce cinquième dimanche de Carême ainsi : « Vous venez d’entendre dans l’Évangile que ceux qui essaient de fuir le danger perdront finalement la vie, alors que ceux qui, par amour pour le Christ, se consacrent au service des autres, vivront, comme le grain de blé qui meurt, mais en apparence seulement. S’il ne mourait pas, il resterait seul. La moisson ne vient que parce qu’il meurt, acceptant d’être sacrifié dans la terre et d’y être détruit. C’est seulement en se perdant lui-même qu’il permet la moisson… » Celui qui parlait ainsi était Oscar Romero, quelques instants avant d’être assassiné, le 24 mars 1980. La suite est encore plus tragique. 350 000 personnes assistaient à la messe de ses obsèques lorsque des tirs et l’explosion d’une bombe provoquèrent la mort de 50 personnes, dont de nombreux enfants piétinés, et des centaines de blessés. Il fallut douze ans pour les chose changent. De monseigneur Oscar Romero, on s’est souvenu lorsqu’on baptisa l’aéroport international de la capitale de son nom.

4. Bien d’autres chrétiens ou non ont été et sont encore victimes de leur message de paix, de liberté. Alexei Navalny en est le plus connu. La peur de la prison, de la perte de la vie met une lourde chape de plomb sur tout son pays. Nous n’osons pas nous demander ce que nous aurions fait à sa place. Mais nous sommes tout de même appelés à ne pas nous enfermer dans nos peurs lorsqu’il s’agit de se risquer au nom de notre nom de chrétien. Oui, il me plairait de ne rien voir plutôt que de m’engager là où je puis apporter une aide, avec le risque de ne pas avoir de reconnaissance me fait tenir à distance. Oui, il me plairait de rester chez moi plutôt que d’aller voir celui, celle ou ceux dont je ne veux plus entendre les plaintes incessantes en face desquelles je n’ai pas de réponse. Ne pas répondre à une parole blessante par une parole blessante nous fera peut-être prendre pour un faible que l’on pourra encore blesser sans risquer d’être contré. Donner de soi ne va pas de soi, ne va pas sans peine, demande de faire mourir un peu de soi. On n’a pas à changer le monde, mais on a à changer quelque chose de soi, en soi. Jésus a encouragé Nicodème à « renaître à nouveau », à voir les choses et les gens autrement.

Seigneur, aujourd’hui, demain, j’aurai à choisir. Parce qu’il faut toujours choisir. Entre ce qui me plaît et ce que tu me demandes. Entre ce qui fait mourir la fraternité et ce qui la fait vivre. Aide-moi à laisser tomber en terre tout ce qui t’empêche de faire fructifier au centuple le grain que tu as semé en moi.


Prière de Norbert Ségard (1922-1981) Ingénieur physicien. Il a créé l’ISEN à Lille, fut ministre des PTT, a généralisé le téléphone et lancé la télématique (minitel). Il ne s’est pas caché du public, alors qu’il portait tous les signes du cancer du poumon, pour dissuader les fumeurs.

Seigneur, donne-moi de voir les choses à faire sans oublier les personnes à aimer, et de voir les personnes à aimer sans oublier les choses à faire.
Donne-moi de voir les vrais besoins des autres. C’est si difficile de ne pas vouloir à la place des autres, de ne pas répondre à la place des autres, de ne pas décider à la place des autres.
C’est si difficile, Seigneur, de ne pas prendre ses désirs pour les désirs des autres, et de comprendre les désirs des autres quand ils sont si différents des nôtres !
Seigneur, donne-moi de voir ce que Tu attends de moi parmi les autres. Enracine au plus profond de moi cette certitude : on ne fait pas le bonheur des autres sans eux…

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Aloyse SCHAFF

Capitaine de Port Saint Nicolas.
Prêtre du diocèse de Metz. Fut professeur de sciences physiques et directeur du lycée Saint-Augustin à Bitche (57).
Activités pastorales dans les communautés de paroisses du Bitcherland.
Animation d’ateliers d’information et de réflexion sur les textes bibliques et l’histoire chrétienne : Pères de l’Eglise, fondateurs des grands ordres religieux, les grands papes, les grands saints du Moyen-Âge, du XVIe siècle. Des présentations à découvrir sur le site.

Publié: 17/03/2024