2e dimanche ordinaire

1. On imagine aisément la scène. Il est quatre heures de l’après-midi, le soir tombe sur les rives du Jourdain dans lequel Jean baptisait peut-être, avec deux disciples à ses côtés, André et un anonyme. « Voici l’Agneau de Dieu » et Jean montrait en Jésus celui qu’il fallait dorénavant suivre. « Voici l’Agneau de Dieu. » Un titre qui n’appartient pas à notre culture. La nôtre voit en l’agneau le modèle de la douceur, de la faiblesse, incapable de se défendre. Autre est l’image des disciples de Jésus, bien enracinée, elle, dans la tradition biblique. Au Temple, on offrait des sacrifices d’animaux et plus particulièrement d’agneaux en mémoire de la sortie d’Egypte. Leur sang marqué sur les portes des Israélites les protégerait lors du passage de l’ange exterminateur. Plus tard, le prophète Isaïe y a vu le Messie, sauveur du peuple, sacrifié pour le sauver de ses péchés. Lorsque Jean l’évangéliste a rédigé son évangile dans les années 90, longtemps après les événements des années 30, il a vu en Jésus et en sa mort la réalisation de ce salut du monde. Jean annonce déjà à ses disciples cette destinée et invite deux de ses disciples à le suivre.

2. Jésus, se retournant, leur demande : « Que cherchez-vous ? » « Rabbi, où demeures-tu ? » « Venez et vous verrez. » Le dialogue est bref. Demeure, demeurer, sont des maîtres-mots de l’évangile de Jean. Dans le prologue de son évangile il avait fait un constat amer : « Il a demeuré parmi et les siens ne l’ont pas reçu. » Demeurer avec lui est à prendre au sens le plus fort et signifie bien plus que la seule coexistence. Lorsqu’il déclare à ses disciples : « Demeurez en moi comme moi je demeure en vous », à l’image du sarment qui ne peut porter du fruit que s’il demeure attaché au cep, il entend faire de ses disciples des porteurs de sa parole, de son projet, pour que l’amour du Père dont il se dit aimé soit en eux comme lui est en eux.

3. On peut penser à la manière dont les parents restent présents à leurs enfants et les enfants à leurs parents. Parce qu’ils « demeurent en eux », il n’est pas nécessaire qu’ils y pensent chaque jour. Parce que cette présence est au fond d’eux-mêmes et leur partager leurs projets, leurs joies comme leurs soucis sont partagés sans même que cela demande une attention particulière. On peut également penser à la façon dont nous gardons le souvenir de ceux qui nous étaient chers et qui maintenant ne sont plus avec nous. Ils sont là sans l’être. Ils nous habitent toujours. Jésus ne nous demande rien d’autre que de le porter ainsi au plus profond de nous-mêmes. « Je suis avec vous tous les jours », nous dit-il, « mais vous, l’êtes-vous avec moi ? »

4. Pour qu’il en soit ainsi, prions comme le fit Guillaume de Saint-Thierry, un ami de saint Bernard : « Où es-tu, Seigneur, où es-tu ? Et où, Seigneur, n’es-tu pas ? Je suis certain qu’ici, maintenant, tu es avec moi. Mais puisque tu es avec moi, pourquoi ne suis-je pas avec toi ? Tiens ma main, ne me lâche pas, jamais je ne te trouverai sans le secours de ta miséricorde et de ta bonté pour moi. Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand ? Si Toi, tu n’allumes pas ma lanterne, si tu n’illumines pas mes ténèbres, je n’arriverai pas à m’arracher à cette tentation de ne pas croire en Toi. Mon cœur est impatient de toi, je cherche ton visage, je cherche ta face, avec ton aide. Je me tiens devant toi comme un pauvre, comme un mendiant, comme un aveugle : tandis que tu me vois, moi je ne te vois pas. Donne-moi, Seigneur, donne-moi, pour me consoler de ma solitude, de pouvoir converser avec Toi. Je ne serai pas seul, aussi longtemps que tu seras avec moi. »