Fête du Christ-Roi

1. « On venait de crucifier Jésus. » Ainsi commence de manière singulièrement anodine, ordinaire, le récit de ce moment hautement tragique. Pour en arriver là, il fallut bien d’abord qu’on étende le corps nu sur le sol pour clouer les poignets sur une traverse de bois. Il fallut bien que deux soldats le prennent à bras le corps pour hisser cette traverse sur son pilier en attente. Il fallut enfin que l’un d’entre eux prenne clou et marteau pour lui percer les pieds. On n’ose imaginer les cris de souffrance de ce corps encore vivant. Maintenant « On venait de crucifier Jésus », comme si cela s’était fait tout seul, comme si on ne connaissait pas ceux qui l’avaient ordonné, exécuté. Cet « On » qui cache pourtant tant de monde qu’on préfère ne nommer personne. Ah ! Cet anonymat de la violence qui fait que les bourreaux se mettent des cagoules, qui fait que chacun d’entre eux peut dire « Ce n’est pas moi » ou « J’ai obéi aux ordres ». Si l’on connaît les victimes des villages occupés de l’Ukraine et dont les cris durent être terrifiants, on ne connaîtra jamais leurs bourreaux. Aujourd’hui la crucifixion continue dans le monde.

2. On s’interroge tout de même. Jésus n’aurait-il pas pu éviter cela ? Connaissant le projet des autorités du Temple de l’arrêter, il aurait suffi qu’il ne se rende pas à Jérusalem en ces jours de la Pâque, comme le lui avaient conseillé ses disciples. Il aurait suffi qu’il se taise pour ne pas se mettre à dos ceux qui l’accusaient de blasphème, ce blasphème qu’il fallait laver dans le sang, disaient-ils. Comment peut-on laver dans le sang ? Jésus n’aurait-il pas pu « sauver le monde » de sa malfaisance homicide autrement qu’en acceptant d’en être la victime ? Fallait-il de la souffrance ? Fallait-il du sang pour cela ? Impossible de croire qu’un Père puisse exiger cela de son Fils ! Alors pourquoi ce sang ?

3. La réponse à notre interrogation est à chercher dans ce que Jésus appelle sa mission. Aux hommes qui font de la loi du plus fort la seule qui semble efficace, il est venu dire celle de son contraire. Il a parcouru les chemins des hommes pour ne dire qu’une parole : « Aimez-vous les uns les autres comme moi je vous aime, comme mon Père vous aime. » On n’en a pas voulu. Alors, parce que l’amour ne peut jamais être bourreau mais victime, on lui fit prendre le chemin du calvaire et la croix fut sa dernière parole, la parole ultime, celle au-delà de laquelle il ne pût plus rien dire. Elle n’était plus faite de mots mais de chair et de sang. Jésus n’a pas choisi la souffrance et la croix. On l’a mise sur ses épaules, et il l’a acceptée pour montrer jusqu’où pouvait aller son « je vous aime » !

4. Il peut sembler paradoxal de présenter aujourd’hui le Christ crucifié comme Roi de l’univers. Il n’en a ni les apparences, ni les pouvoirs que se donnent ceux qui entendent diriger ce monde. Mais il ne pouvait pas savoir, Pilate, que le mot roi est inscrit au creux du mot croix, que l’amour serait toujours victime et jamais bourreau. La couronne d’épines, le côté percé nous le disent pour que nous ne nous fassions pas d’illusion. Mais plutôt que de verser dans le découragement qui éteint le cœur, lie les bras, cette fin de vie de Jésus, en ce temps de fin d’année liturgique qui évoque en ses textes la fin du monde, ouvrira les portes d’un autre Royaume d’amour déversé, de paix couronnée. C’est un message d’espérance que nous pouvons lire dans le livre écrit sur la colline de la plus sombre désespérance. Comme saint Jean d’Avila, un prédicateur exceptionnel du 16e siècle, nous le rappelle : « Levez la tête pour regarder devant vous le Crucifié, non pas le Christ mort, mais le Christ qui vous regarde et qui vous attend les bras grands ouverts. » Les yeux grands ouverts tels ceux du Christ crucifié que l’on peut voir dans l’église franciscaine Saint-Damien d’Assise. Un regard qui nous dit : « Viens suis-moi » pour nous appeler à la maîtrise de nos pulsions de violence, de nos refus de pardonner, et nous libérer de nos entraves et peurs d’engagements, de la froideur de notre amour. De ce Roi de l’Univers, faisons d’abord le Roi de notre cœur !

Par ta croix, rappelle-nous, Seigneur, que nous pouvons nous aussi, si nous voulons bien lever les yeux, essuyer des visages meurtris comme la légendaire Véronique. Que nous pouvons, nous aussi, comme Simon de Cyrène, accepter de prêter nos épaules pour qui a besoin de notre aide.


Quel est ce roi sans autre couronne
Que celle de sang et d’épines tressée
Par dérision pour le Prince de la Paix
Venu porter l’amour aux hommes ?

Quel est ce roi au sceptre de roseau,
De ces humbles du bord de l’eau
Qui, malgré la violence des vents,
Savent garder leur cœur vivant.

Quel est ce roi au manteau écarlate
Qui se laisse frapper et insulter
Par ceux qu’il devrait commander
Et qui le trainèrent devant Pilate ?

Il est ce roi-berger aux pieds nus
A la poursuite dans le désert
D’une seule brebis perdue
Comme si elle était sa dernière.

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Aloyse SCHAFF

Capitaine de Port Saint Nicolas.
Prêtre du diocèse de Metz. Fut professeur de sciences physiques et directeur du lycée Saint-Augustin à Bitche (57).
Activités pastorales dans les communautés de paroisses du Bitcherland.
Animation d’ateliers d’information et de réflexion sur les textes bibliques et l’histoire chrétienne : Pères de l’Eglise, fondateurs des grands ordres religieux, les grands papes, les grands saints du Moyen-Âge, du XVIe siècle. Des présentations à découvrir sur le site.

Publié: 20/11/2022