Méditation sur l’Incarnation

JESUS-CHRIST, VRAI DIEU ET VRAI HOMME
Croyons-nous à notre humanité comme chemin d’évangile ?

« Il s’est fait homme celui qui a fait l’homme,
afin que soit allaité le Maître des étoiles,
afin que le pain ait faim,
afin que la source ait soif,
afin que la lumière dorme,
et que le chemin soit fatigué de la route. » Saint Augustin, sermon 19

Ayons en tête ce passage extraordinaire de la lettre de Paul à Tite, ch.3 :
« Le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et sa tendresse pour les hommes, il nous a sauvés. Il l’a fait dans sa miséricorde… il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint »

Pensons aussi à cette méditation de l’Incarnation que propose Ignace de Loyola dans les Exercices Spirituels :
« L’histoire que j’ai à contempler : ce sont les trois personnes divines regardant toute la surface de la terre ou la sphère de l’univers, remplie d’hommes. En les voyant ainsi se perdre, elles décident dans leur éternité que la seconde personne se ferait homme pour sauver le genre humain. »

Rappelons-nous « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple… j’ai prêté l’oreille à sa clameur, je connais ses angoisses, je suis résolu à le sauver… va, je t’envoie » et c’est à Moïse que s’adresse cet appel.
Et Ignace nous propose alors de contempler l’ange arrivant dans la maison de Nazareth et s’adressant à cette jeune fille dont on n’avait rien su et rien dit jusqu’alors.

Et c’est cela ce que certains, comme Adolphe Gesché, appellent « l’exception chrétienne » : l’Incarnation, un Dieu qui prend la nature humaine, personne ne pouvait l’inventer.
Pendant des siècles Israël a attendu et appelé un Dieu capable de rétablir un royaume et une domination. Dieu se présente à l’homme comme un bébé, un crucifié, un bout de pain. Le summum de l’irrecevable !
Immensité de cette décision trinitaire, telle que la présente Ignace, or elle se réalise par l’acquiescement d’une jeune femme, qui habite cette Galilée des nations si peu
recommandable. Décision de Dieu qui se veut tributaire, dépendante de la réponse d’une femme.
L’Incarnation vient bouleverser le rapport, la relation de Dieu avec l’homme.
En Jésus, Dieu s’offre et accepte d’être refusé, il propose et se propose ; bien loin de
flatter nos obsessions de puissance, il invite, suscite notre liberté, « si tu veux », il réveille le désir et nous dévoile le sien « j’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous », un Dieu qui ose dire son désir de l’homme.
Il est une main qui se tend mais qui ne prend ni ne retient, comme cet espace de liberté entre les deux mains de la Création à la chapelle sixtine, comme cette main tendue vers Matthieu, main qui appelle, invite. (appel de Matthieu du Caravagio).
En Jésus, Dieu se manifeste comme celui qui se tient parfois à distance pour ne pas
s’imposer, qui s’efface ou disparait, comme avec les disciples d’Emmaüs, pour laisser toute la place à notre liberté, à notre initiative et à notre décision.

Comme il nous est difficile, d’accueillir vraiment et d’entrer dans cette relation qui nous fait amis de Jésus et non plus serviteurs, frères et sœurs en humanité ! « Il ne rougit pas de nous appeler frères puisque nous avons en commun la chair et le sang » nous dit l’auteur de la lettre aux Hébreux., 2,11-14. Alors, nous pouvons comprendre que certains, nous parfois, préfèrent se réfugier du côté du permis/défendu ou trouver des gourous qui décident pour eux. Cela nous arrangerait tellement parfois de ne plus avoir à discerner, choisir, décider !
Mais en Jésus, rien de cela, il va plus loin encore, c’est Dieu qui nous invite à devenir ses collaborateurs, à devenir co-créateurs, à poursuivre, développer la mission de sauveur qu’il a initiée et accomplie mais qui a encore tellement à se déployer, ici et maintenant. « Nous sommes les collaborateurs de Dieu…et puisque nous sommes ses coopérateurs, nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu » 2 Co.6,1
Car nous le savons bien au quotidien, notre liberté va jusque là, nous pouvons rendre stérile pour nous-mêmes, et donc pour beaucoup d’autres, la grâce de Dieu.
Nous sommes bien loin de ces divinités qui entretiennent la peur, qui exigent toujours plus de sacrifices pour se gagner leur faveur, qui surtout maintiennent des peuples entiers sous leur joug, celui en particulier du secret, de la sorcellerie, de la menace, de la colère, de la fatalité. cf pays d’Afrique.
Le christianisme est la religion non du secret, mais du dévoilement, non de la conservation, mais de la conversation.
En Jésus, nous sommes sauvés de tout ce rapport tyrannique avec les divinités. Et Jésus l’a fait « dans sa miséricorde, et non à cause d’actes méritoires que nous aurions accomplis par nous-mêmes. » Tite 3
« Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la peur, mais l’esprit d’adoption filiale »Rm 8,15. C’est fondamental car la peur nous déshumanise, elle engendre la violence et nous fait renoncer à notre liberté. Peur de Dieu, peur de nous-mêmes, peur des autres, peur de l’aujourd’hui, peur de demain.

C’est en ce rapport de Dieu avec l’homme manifesté en Jésus, que nous apprenons qui nous sommes. En nous dévoilant qui est le Père et en vivant devant nous son rapport filial, Jésus ne nous dit pas seulement qui nous sommes pour le Père, mais il nous dévoile en sa personne qui nous sommes, en notre humanité dans sa plénitude. _ « Voici l’homme ! » parole prophétique, et pourtant ce n’est sûrement pas à ce moment de la condamnation de Jésus, devant ce corps meurtri par la haine et la lâcheté, que nous aurions aimé l’entendre ! Et c’est pourtant là que cette parole est prononcée. Pascal lui-même nous dit : « Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus-Christ. Nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus-Christ. Hors de Jésus-Christ, nous ne savons pas ce que c’est, ni que notre vie, ni que notre mort, ni que
Dieu, ni que nous-mêmes. »

Paradoxe ou merveilleux échange ; en prenant notre humanité dans sa totalité, en épousant notre grandeur et nos faiblesses, Jésus nous apprend à nous connaître et à nous reconnaître comme l’image de celui qui est l’image par excellence de Dieu.
Contempler le Visage du Christ, c’est nous laisser dépouiller de nos masques, de tous nos maquillages (c’est ce que disait Cyprien aux femmes de Carthage), de tous nos artifices, pour rejoindre en Jésus la vérité de qui nous sommes. Parole très belle de Gesché : « Jésus est celui qui en nous disant « Je suis », dit par là même
et dans le même mouvement « Tu es ».
La parole devenant visage, le verbe prenant chair, c’est tout le mystère de l’homme qui transparaît en celui de Jésus. Nous sommes, nous aussi, tout à la fois visage et parole de Dieu :
« Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, ce que nous serons n’est pas encore manifesté, quand arrivera cette manifestation, nous saurons qui nous sommes parce que nous le verrons tel qu’il est. » 1 Jn 3,2
Visage défiguré, visage transfiguré, ainsi se manifeste Jésus, ainsi se manifeste l’homme. A tel point que Jésus a pu dire : ce que vous faites au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous le faites. Même sang, même famille allant jusqu’à l’identification : cet homme malade, en prison, c’est moi. Mt 25.
Quand Jésus quitte notre terre, il nous laisse l’entière responsabilité d’être aujourd’hui son visage : « la Parole de Dieu est la vie des chrétiens, la vie des chrétiens est la Bible des païens ». Et Gesché va jusqu’à dire : Dieu est, mais il ne peut ex-ister qu’à travers nous.
Dieu a mis sa vie entre nos mains. « A partir de Jésus, Dieu est, mais « n’existe » qu’à travers ce que nous montrons de lui, disons de lui, manifestons de lui. »
Alors le « ici et maintenant », ce réel très concret de nos vies, est le lieu de la rencontre de Dieu avec l’homme, lieu de la révélation de Dieu et de l’homme, lieu de la collaboration de Dieu et de l’homme pour poursuivre l’histoire du salut, ici et maintenant. Retourner au passé, fuir dans l’imaginaire d’un ailleurs et d’un autrement, c’est échapper à cet aujourd’hui de l’Incarnation.

Nous pourrions conclure cette méditation avec ce très beau texte de Jean Debruynne :
« Dieu n’a jamais consenti qu’à une seule image, qu’à un seul verbe : l’homme !
Mais l’homme n’est pas une image glorieuse d’or et de feu, de bronze ou de marbre,
de réussite et de puissance.
L’homme n’est qu’une image fragile taillée dans la chair et le sang, le cœur et l’esprit,les émotions et les sentiments.
Etrange mélange des couleurs du corps et de l’âme, du ciel et de la terre, de la mer et du vent.
L’homme est cette grande déchirure.
Blessure en lui de l’homme et de la femme,
visage toujours en mouvement d’une histoire qu’il vit et qu’il raconte,
taillée dans ses rides, burinée dans ses traits.
Dieu n’a jamais voulu d’autre image que celle-là.
Justement parce que le visage de l’homme échappe à toute emprise.
Justement parce que le visage de l’Homme est nu. »

Raismes, 15/11/12

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Chantal DE LA FORGE r.c.

Religieuse à la Maison du diocèse de Cambrai à Raismes, France

Publié: 01/12/2012