Le goût de la foi (3/3)

Spécificité de l’initiation chrétienne

III – SPÉCIFICITÉ DE L’INITIATION CHRÉTIENNE

1. Quel est le nouveau monde que nous proposons ?

L’importance pour une initiation, c’est de proposer un niveau de passage à une conscience neuve du monde, à une vigilance sur l’esprit d’un monde. Donc, il faut se poser la question : « A quel monde sommes-nous initiés ? »
Que nous le voulions ou non, il y a des tas d’initiations qui se concurrencent dans notre tête, dans notre cœur, dans notre corps. Il y a des tas de mondes qui s’entrechoquent et qui sollicitent de la clientèle… maintenant, est-ce que ces mondes-là vont à la mort ou vont à la vie ?... La question est peut-être un peu brutale, mais c’est toute la question de la Bible : « Voici que je place devant toi deux chemins, le chemin de la vie et le chemin de la mort… Le chemin de la mort conduit à ça, le chemin de la vie conduit à ça… Choisis !... J’espère que tu vas choisir le chemin de vie ! » On le voit aussi dans le Psaume 1 : « Heureux les hommes qui ne s’assoient pas au rang des méchants… » mais qui ont acquis, qui se sont approprié avec intelligence et cœur, une qualité d’existence, une qualité de monde… ils y ont goûté, ils y ont trouvé un bonheur nouveau, ça a changé leur être, et ils n’ont de cesse que de pouvoir transmettre ça comme une proposition à leurs enfants, à leurs compatriotes… et c’est, d’une certaine manière, l’enjeu même de toute leur vie humaine !
Le problème, c’est à quel monde appartient-on ? Et quel nouveau monde ?... Si on sort de ce monde-là, quel nouveau monde se propose à nous ?

Quelle initiation ? Et à quel monde ? Quel être nouveau ? Quelle transformation de l’être ?
Chaque religion propose une initiation… et chaque religion considère que le but de l’initiation c’est d’éveiller à une nouvelle lumière. La religion chrétienne dit ça ! Le vieux mot grec pour parler des catéchumènes qui ont été baptisés, c’est les photizoménoï les ’’illuminés’’… au sens qu’ils voient le monde à une nouvelle lumière ! « Par ta lumière, nous voyons la lumière »… La lumière, on la partage avec tout le monde, mais il y a une manière de vivre la lumière qui est spécifiquement biblique, chrétienne, islamique, hindouiste, juive, ou autre… ou primitive !... Les Océaniens ou les tribus amazoniennes ont eu, et j’espère, ont encore, la possibilité de transmettre une qualité d’être à leurs enfants, dans un cosmos relativement préservé, qui leur permettra de voir la lumière des matins en s’en réjouissant.
C’est la même chose pour l’initiation chrétienne… les ’’illuminés’’… ceux qui photographient la lumière selon un angle de vue qui permet de voir des choses que les autres ne voient pas, de les repérer, ou de voir les mêmes choses, mais dans un relief ou dans une mise en valeur de l’objet ou de l’être qui leur donne toute leur beauté.

2. L’initiation biblique

Alors, quel monde pour un homme de la Bible ? quel monde faut-il transmettre ? comment voir le monde à partir de la Bible ?... Or la Bible n’est justement pas une simple écriture, mais une impression, une optique (comme dit Lévinas)... une sorte de fabrication de lunettes pour voir l’histoire, le cosmos, l’homme, la femme, l’enfant, le père, la mère, le travail, le pouvoir, la terre, le repos du dimanche… différemment ?
Quelle est donc cette intentionnalité chrétienne que le christianisme va essayer de mettre en œuvre dans son initiation ?... Le ’’cœur d’entreprise’’ ?... (les industriels aujourd’hui aiment parler du ’’cœur d’entreprise’’ : chaque entreprise a un cœur… on aime faire ce qu’on fait. On le faisait avant, on le fait sans doute différemment des ouvriers d’avant, mais ils nous ont transmis un savoir-faire et surtout un goût à faire comme ça, à produire ça avec compétence…) Il y a une compétence initiatique du christianisme ! Il y a un ’’cœur d’entreprise’’ chrétienne ! parce que c’est vrai que le christianisme travaille l’humanité dans un certain sens ; il produit un certain type d’humanité, attention ! qui n’est pas fondamentalement différente de l’autre ! mais qu’il transfigure selon une joie, et un esprit nouveau.
Regardons comment la Bible parle du début de l’initiation biblique : qu’est-ce qui initie le peuple d’Israël ? qu’est-ce qui l’initialise ? qu’est-ce qui le met en route ? qu’est-ce qui le met en catéchuménat ?!...
Ce n’est pas un mode de vie commun ; ce qui met ensemble les tribus d’Israël n’est pas le fait qu’elles aient le même mode de vie ! des nomades, semi-nomades, agriculteurs ont des modes de vie différents ; ils ont des comportements culturels différents, ils ont des langues différentes, ils ont des dieux différents… forcément, puisque les dieux sont là pour sacraliser un éco-système, les dieux ressemblent à leurs modes de vie… Or, voilà qu’ils sont initiés à autre chose ! ils entrent dans un nouveau point de vue sur leur pluralité… Leur pluralité, ils la vivent comment jusque-là ?... comme concurrence, comme ’’les autres sont comme ça, mais nous on est autrement ! nous on a notre dieu, et les autres ont leur dieu, et chacun se débrouille avec !...’’ On a un dieu différent puisqu’on a un mode de vie différent, une culture différente, une langue différente, mais… on est côte à côte, en concurrence, ou en guerre, ou en stratégie d’alliance pour éviter le pire, ou en commerce. Et chaque peuple initie à son petit dieu…
Or voilà que la Bible nous raconte une tout autre initiation : l’initiation à une fédération d’expériences ! On a des cosmos différents, et voilà qu’il va falloir que nous imaginions, que nous construisions, que nous nous sentions responsables d’un mode d’être ensemble, fédérés ! Et ça, ce n’est pas la nature qui va nous le dicter puisqu’on vit la nature de manière différente !… c’est pas nos cultures qui vont nous le dicter, puisqu’elles sont complètement opposées !… ce n’est pas la guerre qui va nous le dicter : apparemment le nouveau dieu essaie plutôt de nous mettre en alliance !... Alors ?... Communauté appelée, convoquée, rassemblée, faite de morceaux de tribus, et même de morceaux de morceaux de tribus différentes ! la plupart du temps ce sont des marginaux de tribus, des pauvres de tribus, des exclus de tribus !… des gens à la frange des villes ! des gens de banlieue ! des immigrés !... et qui sont mis ensemble par un appel… un appel, encore une fois ! non pas à un mode de vie identique. Et on répond ’’en vrac’’, en ordre dispersé… et peut-être de plus en plus unifié ! peut-être… si on s’entend bien… mais ça ne durera pas longtemps !... Va-t-on répondre à cet appel, là dans la montagne, qui nous dit : « Tu es esclave ? ou tu es propriétaire foncier, tu es semi-nomade, romanichel à la frange des villes ? tu essaies de t’intégrer mais en même temps tu n’es pas comme les autres… Eh bien, mettez-vous ensemble et faites une alliance ! parce que moi, avec vos brins de tribus, vos morceaux en lambeaux de tribus, je voudrais faire un nouveau monde : j’ai un dessein sur vous… Je ne veux pas que vous soyez simplement des rebuts des autres tribus, ou des annexés des empires, ou des exploités des grands travaux pharaoniques… je ne veux pas que vous soyez simplement des marchandises qui sont transportées de pays à pays comme force d’appoint… votre humanité n’est pas une marchandise ! Votre humanité est appelée à une rencontre ! et c’est ça qui doit être le fanal, le phare de votre initiation ! »
Dans la Bible, l’initiation n’est pas l’entrée dans une lignée biologique !... même si plus tard on partagera des grand-pères comme Abraham… on s’inventera un grand-père commun ! quand on regarde, quand on farfouille dans l’histoire, on sait très bien que c’est un montage !... mais ça n’est pas moins historique !... qu’il y ait cette volonté de dépasser nos appartenances biologiques pour mettre en priorité une appartenance à une promesse !... La promesse, l’appel, la fidélité d’un Dieu qui nous cherche au travers de nos différences, au travers des morceaux épars que nous représentons, qui cherche un interlocuteur, qui cherche un peuple qui puisse lui répondre… en ordre dispersé, voilà l’événement majeur !... C’est vrai que quand on se retrouve à la messe et qu’on regarde son voisin, on se dit : « Mais qu’est-ce qu’il fait là celui-là ? »… Et pourtant ! qu’est-ce qui compte ? d’être pareils ? ou d’être appelés ?... d’être appelés à un rendez-vous où on se retrouve à la table de famille avec le papa qui est tellement content de voir qu’on est là… alors qu’il sait très bien que le frère et la sœur, c’est chat et chien ! mais… ne sont-ils pas venus tous les deux !...
Initiés à un esprit de famille au-delà même de la famille biologique, au-delà même de l’identité culturelle, au-delà même des manières de vivre… on est profondément initiés à un déracinement !... Les catéchumènes ressentent ça très fort !... Entrer dans la Bible c’est entrer dans un héritage qui dit : « Ton histoire, ta culture, ça a beaucoup d’importance, mais, regarde, maintenant tu vas être mis dans un autre monde ! … Pas au niveau culturel, pas au niveau biologique, même pas au niveau d’appartenance sociale, non… c’est pas forcément une communauté bourgeoise que tu vas rejoindre parce que tu deviens un baptisé !... Tu auras toujours tes racines, mais tu vas entrer dans une communion, dans une communauté d’appartenance supérieure, plus profonde, où il s’agit de faire qu’on devienne des compagnons et pas seulement des concurrents ! et pas seulement des conformes !... »
Entrer dans l’initiation biblique, ça veut dire : non pas recevoir une conformité, de langage par exemple, de comportements sociaux, de culture… c’est, tout en conservant profondément ses racines, être déraciné ! « Je t’ai pris et je t’ai mis » dit le texte de la Genèse… « Je t’ai pris dans la terre, où tu as été façonné… t’as les pieds dans la gadoue ! c’est normal, c’est çà le fait d’être homme ! d’être enraciné quelque part !... et à partir de là, il y a un souffle qui t’anime, et ce souffle te transplante dans un jardin, un jardin où tu peux redire le monde, nommer le monde, cultiver le monde, prendre tous les fruits du jardin… prends tout ! refais tout !… mais refais-le sans prendre l’autre, sans maîtriser sa présence, sans l’annexer, sans le réduire à tes projets, ou à ta biologie, ou à ta culture, ou à ton mode de vie… sans le dévorer ! en le laissant être et en l’accueillant dans ta main ouverte au lieu de le prendre avec tes griffes !... »
Initier à ça, recevoir un sens… et encore une fois, le problème n’est pas de changer de racines ! C’est de transplanter ses racines à un autre niveau… et à un niveau qui m’interdit le meurtre… c’est le seul interdit, d’une certaine façon !... « Tu ne prendras pas l’arbre de vie !... la source de la vie de ce nouveau monde, considère que ce n’est pas toi qui la fais, ce n’est pas toi qui la mets en bouteille, ce n’est pas toi qui la maîtrises !... tu reçois de l’autre ! ce monde-là est à faire… mais c’est un monde qui se reçoit dans les yeux d’un autre… dans le dialogue ! Et le premier dialogue que je te donne de pouvoir vivre, c’est le dialogue entre homme et femme !... » C’est la grande aventure ! Le monde est pour ainsi dire concentré, cristallisé dans cette petite cellule humaine : homme-femme… où tu apprends, en écoutant ta femme, qu’elle raisonne vraiment pas comme les ’’mecs’’ !!! qu’elle ne conduit vraiment pas comme un mec !... qu’elle fait ses courses n’importe comment ! Voilà le nouveau monde : apprendre à ajuster son point de vue à l’autre point de vue, à entrer dans un itinéraire qui est très loin d’être abouti !... parce qu’on découvre encore, quand on a cinquante ans de vie de couple derrière soi, que « elle ne raisonne vraiment pas comme moi !... mais qu’est-ce que j’irais faire ailleurs ?... à mon âge !... » et ce n’est pas là de la lassitude ; on saisit trop que, quand elle part on est paumé, qu’il y a trop de choses qui nous lient, que le compagnonnage avec elle nous a fait entrer dans une nouvelle manière d’être nous-même…
C’est curieux comme l’initiation à la Torah est très souvent présentée par les prophètes comme une initiation à une vie de couple !... comme s’il y avait une sorte d’analogie profonde entre l’amour humain et l’amour de Dieu à son peuple… l’un nous fait comprendre l’autre, et l’autre l’un… La grande initiation commence là ! et on voit bien que ce n’est pas une initiation sexuelle, ce n’est pas une initiation à la répartition des rôles entre mâles et femelles, ce n’est pas une initiation culturelle… sinon, on retombe dans les impasses du féminisme revanchard ou du machisme idiot !... l’enjeu de l’initiation se joue autour de cette question : « Comprendre qu’il y a possibilité de vivre le monde en regardant dans la prunelle de l’œil de l’autre, d’entrer dans le comment il le regarde », recevoir le monde dans le regard de l’autre !...
On pourrait dire ça de tribu à tribu aussi, parce que l’alliance, elle n’est pas seulement conjuguée dans le couple, elle est aussi conjuguée à l’intérieur d’une collectivité nationale… enfin, ce qui va devenir une collectivité nationale dans à peine quelques siècles !...
Il y a une espèce d’expertise de la communauté d’Israël, de compétence dans la lecture de l’histoire, de la lecture des cultures, de la lecture des modes de vie, de la lecture des mythes de création du monde, à partir de cette expérience de fédération… Et je crois que c’est un tournant dont nous ne pouvons pas faire abstraction, que nous ne pouvons pas éviter dans l’initiation chrétienne !... C’est plus qu’une initiation à la vie communautaire !... parce que initier à la vie communautaire, c’est vécu dans les sectes, c’est vécu par les expériences charismatiques chaudes, où on aboutit souvent à des prises de pouvoir de gourous et où il faut que tout le monde parle le même jargon, et ait les mêmes sentiments, et fasse le salut militaire en face des décisions du père ! ou de la mère !... Ce n’est évidemment pas ce type d’initiation ! c’est tout l’inverse ! C’est une initiation à la ’’vie ecclésiale’’… or, ’’ecclesia’’ qu’est-ce que ça veut dire ? ’’ekklesia’’ ça veut dire ’’appel à… ek = sortir de’’, ’’convocation à sortir hors…’’ de quoi ? hors de l’esclavage, hors de la pensée conforme, hors de l’appartenance sectaire, hors même de l’appartenance familiale et biologique… pour se rendre compte qu’on est appelé à… se goûter, à admirer l’itinéraire de l’autre, à oser lui poser des questions, à l’accueillir en hospitalité, à lui ouvrir sa porte sans savoir d’avance s’il va être conforme à la vie de la maison !... à ’’élargir les piquets de sa tente’’ comme dit le prophète !... pour accepter ce défi qui change le monde, le défi du dialogue.

Qu’est-ce qui préside à la fondation de ce monde ? qu’est-ce qui nous l’a donné ? ce n’est pas nous qui l’avons sucé de notre pouce !... on l’a reçu comme une parole qui nous appelait dans la montagne, ou comme une délivrance qui nous faisait oser sortir, ou comme un combat difficile,… ou comme une force de résister aux puissances guerrières, de résister aux puissance consommatrices, de résister aux puissances financières, de ne pas être rongés de l’intérieur par tous ces monstres-là !... de résister à la désespérance, tout simplement, de ne pas avoir de boulot, d’être marginalisé, de ne pas être considéré !... d’acquérir ce réflexe de dignité que l’on puise où ? que l’on puise dans le Sinaï ! dans le don d’une parole qui nous dit :« Viens, je veux te rencontrer ! »… Qui est-il celui-là ? pour oser nous proposer un nouveau monde ! nous proposer une nouvelle forme d’initiation… Eh bien quand on lui pose la question, il ne répond pas !... Il ne réponde pas ce Dieu-là ! il ne répond pas à la question… ou du moins, il répond à côté !... Il nous dit : « Pose ta question autrement... » C’est complètement déroutant ! L’itinéraire initiatique de la Bible est déroutant !... Avant, au centre même des initiations, il y avait le nom du dieu qui donnait le monde ! On savait quelle était la clé, comment la faire fonctionner ! Le dieu donnait son nom et il donnait le mode de fonctionnement de son nom !... Les récits de création c’est ça : on a la clé, et on peut aller partout, on saura comment se comporter, on aura le sens !... Et en plus, les autres, ils n’ont pas la clé ! donc ils n’ont pas le code d’entrée et ils ne rentrent pas !... secret d’arcane ! On ne divulgue pas… Ici, je cherche le mythe, je cherche la fondation de ce nouveau monde, je cherche le dieu qui va donner son nom pour que j’aie la clé !... Et il ne répond pas !... Quand Moïse lui demande : « Quel est ton nom ?... Donne-moi la clé, et moi, autorisé que je serai d’avoir la clé, je vais aller voir Pharaon et comme j’ai la clé, je peux ouvrir, je peux trouver une solution, je peux trouver les itinéraires… de dieu à dieu, il y a moyen de se causer. » Or, j’arrive devant Pharaon, j’ai demandé à Dieu comment il s’appelait pour avoir la clé en face de l’autre… il ne me l’a pas donnée !... Je suis complètement démuni… « Où est-il ton Dieu ? » demande le psaume, et moi, quand les autres dieux disent : « Alors, à qui vais parler je ? Où est-il ton dieu ? Où est-il ton baal ? » la seule chose que je peux répondre c’est : « Je ne sais pas, j’attends de faire route avec lui pour apprendre à savoir qui il est… » C’est la réponse que Dieu fait à Moïse « Je serai qui je serai !... et j’y serai ! » Donc, ce n’est pas une clé, c’est une indication d’itinéraire…
« Tu veux savoir d’avance la clé magique qui va te donner la destination ? Tu veux un GPS ? tu veux savoir où je te donne rendez-vous ?... Allez, démarre !... » « Mais où est-ce qu’on va ?... » « Démarre ! apprends à conduire ! je suis là à tes côtés… moi aussi j’ai les pédales ! on va apprendre à conduire, dans le monde, dans l’histoire, et je te dirai tourne à droite, fais gaffe à gauche, conserve ton allure, ralentis pas, fonce !... Vas-y ! Interprète le chemin quand il se présente à toi... bien sûr tu vas aboutir à des tournants, à des lignes droites, à des étapes où tu prendras ton pique-nique, ou dans des trucs où tu vas demander : « Mais dans quoi tu m’emmènes ?... », où tu vas crever de soif et de faim, et tu diras : « Mais c’est là que tu m’emmènes ?... et t’as rien prévu ?... ni le gîte ni le couvert ? »… « Continue ! fais-moi confiance !... Tel est mon nom : Je serai qui je serai… avec toi » Et dans ce compagnonnage de copilotage, j’apprends, non pas à savoir où ça me mène, non pas à prendre confiance en moi-même, mais à Le connaître, Lui, et à me connaître dans mes réflexes ambigus profonds parce que c’est Lui qui me les révèlent !... dans mes peurs, dans mes angoisses, dans mes réflexes égocentriques, dans ma capacité de rompre la relation et de le foutre dehors en le laissant dans le fossé en lui disant : « Je veux conduire tout seul »… me connaître dans ma capacité de péché ! et comment je peux comprendre tout a, me comprendre moi-même dans mes ambiguïtés les plus profondes, dans mes enfermements les plus définitifs, si je n’ai pas quelqu’un à côté de moi qui me dit : « Non, vas-y ! Fais-moi confiance ! Fais-toi confiance dans mon regard qui te fait confiance !... On va y arriver ! »… « Où ? »… « On y arrivera ! ensemble ! » Et finalement, on est encore là, nous les chrétiens, à se dire il y a un copilote qui a pris un visage, mais qui nous conduit toujours autant ! Avec un capital de confiance qui a peut-être changé, qui s’est peut-être encore enrichi…

Alors, l’initiation biblique, c’est quoi ?... Sinon apprendre à conduire dans toutes situations historiques, culturelles, dans tous les tournants de la vie, tous les tournants existentiels, en ne lâchant pas la main du copilote… Initier à une amitié… sans posséder l’autre comme un objet, sans dire : « J’ai été initié à la théologie biblique, donc je sais comment fonctionne Dieu ! »… Apprendre à faire de la théologie en ne parlant pas de Dieu sur Dieu, mais en parlant à Dieu !... Apprendre à faire de l’exégèse en ne lisant pas le texte comme un matériau muséal, littéraire, mais en écoutant une voix derrière qui, depuis les temps immémoriaux du peuple, continue de m’appeler à faire route… C’est ça la Torah ! Initier à la Torah, initier à la Parole de Dieu, à la Loi de Dieu… c’est cette direction à laquelle il faut inviter à oser s’avancer. Mettre les événements, tous les événements qui nous arrivent, depuis les héritages du passé jusqu’aux échéances d’aujourd’hui, jusqu’aux problèmes qui s’annoncent pour demain, mettre tout ça en réponse à un appel, en itinéraire qu’on se raconte mutuellement… on va voir dans l’héritage biblique comment ils racontaient ça, eux, et comment à l’instar de ce qu’ils racontaient, comment nous, nous pourrions le raconter, avec des thèmes différents, mais avec les mêmes enjeux en tête, et comment, surtout, ce qui s’amorce comme tournants, on va avoir des forces spirituelles pour les négocier…
Eh bien, notre vocation, comme Eglise, c’est d’initier à cette torah, à cette direction, à cette compétence historique qui va nous apprendre à lire l’histoire à la lumière de l’appel au compagnonnage… et qui nous rend redoutables pour toutes les civilisations pour repérer tout de suite les failles des systèmes, les idolâtries, les mentalités esclavagistes, les intolérances vis-à-vis de ceux qui ne nous ressemblent pas, les indifférences vis-à-vis de ceux qu’on laisse sur le côté… qui nous rend compétents dans la dénonciation du péché et des conséquences du péché…
C’est évidemment une initiation dangereuse pour les initiés !... Ça les met en porte-à-faux par rapport au monde évident dans lequel on est : le monde évident du commerce, du métro-boulot-dodo, de la course à l’enrichissement, de la course à la sécurité totale, de la course à la jouissance immédiate, etc. enfin, des bateaux !... Mais, précisément ! Ce sont des bateaux qui nous emmènent au gouffre ! et dont il faut prévenir les conséquences néfastes… parce qu’ils emmènent du monde ! trop de monde !... Le monde emmène du monde !...

3. Initiation à une triple mission

Et donc, il y a une urgence préventive à laquelle il faut tout de suite initier, c’est la dimension prophétique. La dimension prophétique de la communauté qui initie… hantée par une Parole qui nous fait voir les événements à une profondeur que les autres ne voient pas, peut-être, ou qu’ils voient aussi ! mais par d’autres points de vue... Attention ! Nos contemporains sont aussi très sensibles aux conséquences des idolâtries ! Mais ils n’interprètent pas de la même manière, ils n’interprètent pas dans le regard d’un Dieu qui veut être compagnon… ils ont souvent cette qualité de vigilance prophétique que nous pouvons partager avec eux, et en tout cas, la proposition de combat éthique commun, il faut pouvoir la leur faire ou la recevoir d’eux !... Donc, il y a cette vision prophétique des événements qui me paraît être une partie nécessaire, constitutive de l’initiation biblique. Mais nous devons savoir que ce combat prophétique nous le menons au nom d’un Dieu de la rencontre.

La deuxième dimension, c’est la dimension royale de l’initiation. Le service royal… l’organisation du faisable… C’est relativement facile de dénoncer ce qui ne va pas ; c’est plus difficile de dire ce qu’il faut faire avec les moyens qu’on a maintenant !... Et ça, c’est toute la dimension du roi !… Par ailleurs, il faut surveiller que ses chevilles n’enflent pas !... c’est-à-dire qu’il remplisse sa tâche royale qui est d’être celui qui rend possible la mise en œuvre du nouveau monde, et, en particulier, qui se soucie en premier lieu de tous ceux que la ’’Sécurité Sociale’’ n’a pas prévus !... de ceux qui tombent hors des plans quinquennaux parce qu’on les a oubliés… et puis il y a ceux dont on ne sait pas quoi faire, ils sont là pendant un certain temps pour les grands travaux et puis après, ils font souche : les immigrés, les harkis, les Maghrébins, les Maliens… et en plus ils envoient le fric de la Sécu en Afrique !... alors, qu’est-ce qu’on fait avec eux ?... Eh bien on les reconduit à la frontière… en tout cas, on limite très fort l’immigration !... Service de ceux pas prévus, ou embêtants… c’est le service royal par excellence ! C’est celui qui s’occupe de ceux que la loi n’a pas prévu… celui qui va chercher la brebis perdue !... Initier à ce service royal de la charité qui répond aux urgences, qui devance, et donc qui prévient les problèmes…

Et enfin, troisième dimension, la dimension sacerdotale de l’initiation. Apprendre à donner gratuitement, à offrir, à élever l’offrande… c’est-à-dire à ne pas se contenter simplement de transmettre le paquet, mais d’orner le paquet d’un mot, d’une fleur, d’un poème, d’une action de grâce… Ce n’est pas ce qu’on offre qui est important, c’est l’intention de l’offrande… faire que dans tout ce qu’on offre, ce soit soi que l’on offre… et qu’on remercie dans l’offrande celui qui s’est offert en nous donnant de quoi lui offrir ! Ça, c’est aussi fondamental… c’est peut-être justement un des sommets de l’initiation ecclésiale, ou biblique, tout simplement, concentrer le don des prémices : offrir un tout petit bout de soi en symbole, en signe que nous devrions tout offrir à Dieu puisqu’il nous a tout donné !... Donc, ce petit clin d’œil : échanger les offrandes… et en même temps, embellir le monde pour lui offrir !... ça, c’est l’oblation : porter du bas vers le haut… faire que la fleur, ce ne soit pas seulement un truc qui fane et qui tombe, mais prendre la fleur et la lui offrir… Les rituels d’offrande, en Orient, c’est fondamental ! C’est le fondement même du rapport religieux… C’est prendre quelque chose de tout simple, mais dans un beau geste ou dans un bel arrangement, dire « voilà ! je t’ai préparé un repas, je t’ai préparé un bouquet, je t’ai préparé un cadeau… j’y ai mis du mien dans ce cadeau » et l’autre dit « merci ! je t’ai donné de rendre beau ce qui était laid, de rendre haut ce qui était bas, de rendre goûteux ce qui n’avait pas de saveur… » C’est d’élever les choses à leur niveau qualitatif… c’est l’œuvre sacerdotale par excellence !... Sacrifier… rendre sacré… Et le sommet ce serait : « On n’a plus rien à donner sinon nous-mêmes », ça, ce serait l’oblation parfaite !... à laquelle répondrait l’oblation parfaite de celui à qui on donne qui dirait : « Moi non plus je n’ai rien à te donner, sinon moi-même, mon souffle »… Là ce serait vraiment une action de grâce parfaite !... Initier à cette qualité d’échange qui est l’œuvre sacerdotale… Attention, on ne parle pas ici des ’’curés’’ ! On parle du corps sacerdotal que la communauté chrétienne représente…

Donc il faut initier à cette qualité d’échange dans le sacerdoce, à cette qualité de service dans le Roi, et à cette qualité de vigilance dans le prophète.

Il s’agit là d’entrer dans un passage étroit où on est mis en décalage total par rapport aux évidences du monde. On rend les gens compétents, mais avec leurs compétences, ensuite ils deviennent exigeants pour tout le monde !... Tant qu’ils sont gentils, ils se taisent, pendant un certain temps, mais quand ils arrivent dans une situation et qu’ils disent : « Mais combien de temps ils perdent ! Il suffirait de faire ça ! » ou bien « Ils s’emberlificotent dans des trucs ! Ils devraient voir clair dans les finalités, dans leurs objectifs ! »… Souvent les compétences arrivent dans une entreprise et ils sont en décalage !... Certes il y a la part d’apprentissage où il faut que le jeune ingénieur, tout frais émoulu de l’école, apprenne à regarder et écouter qu’il assimile la compétence de l’entreprise et qu’il apprenne son histoire !... Ça veut dire qu’il y a un échange qui doit être négocié au fur et à mesure que l’implantation se fait, que l’intégration à une équipe se fait… et que le jeune est une chance aussi pour l’entreprise ! Ce n’est pas simplement le clone des anciens ! C’est une plus-value pour la recherche, pour la productivité… De même, la compétence historique et spirituelle de la communauté juive et chrétienne met souvent cette communauté en porte-à-faux par rapport aux communautés humaines, aux collectivités humaines. Et d’ailleurs, ça se sent très profondément dans nos familles, dans les objectifs d’éducation des enfants. Beaucoup de parents me disent : « Mais qu’est-ce qu’on fabrique à vouloir les éduquer chrétiennement ? On envoie des brebis chez les loups ! Est-ce qu’on a le droit de faire ça, monsieur l’abbé ? »… C’est facile de dire idéalement : « Il faut que la brebis convertisse le loup ! » mais il faut aussi qu’on prenne la mesure de la faiblesse d’une force spirituelle... c’est qu’une vigilance prophétique, une obsession du service, de l’attention aux pauvres en particulier, et un souci d’élever les situations vers leur point de beauté et de bonté, et le sens de la gratuité de l’offrande, tout cela nous met en porte-à-faux ! Et les autres nous le font bien sentir ! Nous représentons un grain de sable dans le rouage des évidences collectives ! Tant que les chrétiens restent bien dans leur secte, pas de problème ! Tant qu’ils s’occupent du catéchisme des enfants, pas de problème ! Tant qu’ils font des cours d’exégèse à la Catho, pas de problème ! Tant qu’ils perpétuent des savoirs patrimoniaux, des sciences religieuses où les agnostiques peuvent venir prendre des cours, et même en donner, pas de problème ! Mais quand ils commencent à dire : « il faudrait peut-être témoigner d’une vigilance prophétique » dans des associations caritatives, dans une alerte humanitaire, dans certains quartiers, ou dans le quart-monde, ou dans une mise en alerte dans la course au vertige financier… ou dans l’entreprise, la qualité des rapports de staff à employer… là !... c’est plus pareil ! Alors, bien sûr, des gens comme l’abbé Pierre ou sœur Emmanuelle passent très bien… évidemment, ils sont ’’héroïcisés’’ ! Mais est-ce qu’Emmaüs passe si bien que ça, alors que l’abbé Pierre passe bien ? C’est ça le problème ! Ce n’est pas le prophète qui fait tache, ce sont les disciples du prophète qui gênent !
Or, la catéchèse est là : comment un cri d’alerte prophétique n’est pas uniquement une question d’individu, mais une question d’héritage spirituel ! Comment la transmission d’un témoignage est pris cette fois-ci en relais par un témoignage communautaire ! Et ce que nous avons de plus précieux à transmettre, c’est précisément, cette vigilance partagée communautairement par une paroisse, dans un quartier difficile ; par un diocèse, dans une région européenne en pleine mutation ; par une nation qui demeure d’une certaine manière attachée à ses racines chrétiennes, par rapport à une stratégie mondiale de la gestion des denrées alimentaires… Qu’est-ce que nous faisons ? Si nous nous déchargeons, nous nous défaussons sur les héros médiatiques… « La foi s’occupe des clochards puisqu’il y a un abbé Pierre ! » ou « elle s’occupe des pauvres puisqu’il y a une sœur Emmanuelle ! » Or c’est l’initiation d’une communauté, d’un diocèse, d’une vie chrétienne, d’un témoignage d’une vie familiale à l’ensemble d’une proposition éducative ou d’une proposition matrimoniale, à l’intérieur d’un débat collectif ! Par exemple, le débat actuel de nos instances épiscopales avec tout le problème de l’eugénisme, de l’euthanasie, de la manipulation des cellules souches, etc. Si là on n’est pas présent ?... Et si on est présent là, et que collectivement, nous portons cette vigilance prophétique au niveau d’un débat collectif… ça va être très difficile ! Mais les chrétiens ne sont pas les seuls à être en porte-à-faux par rapport aux évidences en face ! Et l’initiation chrétienne va vraisemblablement croiser des expériences humanistes, humanitaires où la civilisation s’interroge sur ses propres finalités, et bravo ! Et elle va croiser aussi d’autres initiations religieuses qui portent le même souci. Et si l’initiation, qui fait ’’mijoter le fricot’’ avec un petit groupe d’accompagnement autour d’un catéchumène, et c’est bien ! il faut le faire... mais si ce n’est pas toute une Eglise qui porte ce catéchumène, qui vient d’un milieu ouvrier, employé, cadre, milieu bancaire… à être porté, éveillé, acheminé vers un service, et si il ne devine pas au travers de tout ça sa vocation sacerdotale d’offrande de sa vie, eh bien cette initiation n’est pas biblique et donc pas chrétienne ! Il y a une dimension communautaire, collective, de l’initiation qui est évidemment indispensable !

4. L’initiation chrétienne

Et le Christ ?... qu’est-ce qu’il amène de plus ?... A partir de là, à partir des Ecritures, à partir du témoignage de sa judaïté… de ses racines, il a vécu tout cela, à la manière de son époque… mais en même temps, il a repris tout ça en allant jusqu’à se recevoir totalement du Père dans un nouveau Sinaï, et cela, jusqu’à initier ses disciples à ce qu’Il vivait. L’initiation chrétienne, c’est quand même lui qui l’a commencée !... en poussant sa catéchèse initiatique jusqu’à révéler le Père…non pas se révéler lui-même, mais révéler le Père, la source de tout son être !…
Et jusqu’où va le Père pour nous enfanter au nouveau monde ?... jusqu’à prononcer sa Parole humaine… jusqu’à se livrer complètement à une présence incarnée qui nous dit comment être ré-enfantés d’en haut !... Le risque que Dieu (non pas prend… !) mais « est » !... Dieu « est » risque en lui-même !...
Et ça doit retourner l’initiation complètement dans l’autre sens : ce n’est plus Dieu uniquement qui nous initie à un nouveau sens de la vie, c’est nous qui l’initions à la nôtre !... c’est lui qui se laisse enfanter … c’est lui qui demande à ses disciples « qui dites-vous que je suis ? »… c’est lui qui prend nos langages pour pouvoir se dire… c’est lui qui apprend à prier pour nous apprendre le Notre Père… c’est lui qui apprend l’hébreu, l’araméen et peut-être même le grec pour pouvoir lire les Ecritures… C’est l’inversion totale de l’initiation ! Et initiant Dieu à notre humanité, nous sommes initiés à sa divinité !
L’initiation est l’itinéraire d’incarnation que Dieu accepte de vivre pour nous rejoindre en compagnonnage, jusqu’à se recevoir de nous ! du ventre d’une femme !... pour pouvoir se donner, et nous donner, jusqu’au bout, dans le lâchage complet de sa vie, l’offrande totale de sa vie, jusqu’à remettre son souffle…
Donc l’initiation chrétienne doit être une mystagogie, un acheminement vers ce mystère-là. Et dans tous les sacrements, nous avons à initier à cette présence qui se donne jusqu’à mourir…

Essayons d’approcher plus encore de l’originalité de l’initiation chrétienne en repartant de ce qui a déjà été acquis du vivant du Christ : l’importance des trois grands piliers de la catéchèse juive, que sont la Torah, le Temple et le Peuple…
Nous allons les retrouver dans la catéchèse chrétienne mais complètement revisités par le témoignage de Jésus :
 la Torah, commentée par les Prophètes, amplifiée par les autres écrits, sera toujours reçue dans l’initiation chrétienne comme Parole de Dieu, mais accomplie et transfigurée par la prédication et l’action du Christ. C’est Lui qui nous ouvrira à l’intelligence des Ecritures, et qui nous donnera l’Esprit pour déployer la vérité toute entière dans l’Esprit du Père dont lui-même a vécu. Les apôtres transmettront et garderont cette richesse reçue du Christ dans le déploiement de son mystère, diffracté en quatre évangiles. Le testament de Moïse et le Testament de Jésus seront donc les deux pans des Ecritures, qui s’éclaireront l’un l’autre dans le témoignage de Jésus, vécu, perpétué et déployé dans le Corps ecclésial, confessé dans le Credo et gardé par les conciles.
 Le Temple terrestre, détruit, sera remplacé pour les chrétiens par le Temple « non fait de mains d’hommes » qui sera accueilli en la personne même du Christ s’offrant au Père et à ses disciples, en transmettant le Pardon reçu du Père et prolongeant ce Kippour dans le pardon accordé par Jésus lui-même à ses bourreaux. Dans l’initiation chrétienne, les autres signes mémoriaux et la liturgie elle-même, nous revivrons les grandes lignes de la liturgie juive, mais en célébrant le mémorial du Christ mort et ressuscité, rendant caducs les sacrifices sanglants et le Temple d’Hérode pour le remplacer par son propre sacrifice, lieu de pardon définitif. La liturgie est aussi un lieu d’initiation à la prière chrétienne (dans la prière eucharistique, la prières des heures et le Notre Père, par exemple…)
 le troisième pilier du Peuple et de la solidarité collective de la communauté juive est aussi retrouvé dans le réseau de tendresse et de pardon inauguré par Jésus de son vivant avec les pécheurs, et, au-delà de sa mort, avec tous ceux qui, dans la foi et le nom du Christ, se laissent recréer par la tendresse du Père, le sacrifice de Jésus et la communion de l’Esprit. La pratique de la charité qui s’étend maintenant aux ennemis, aux païens et aux lointains du monde, nous révèle combien, dans le Christ, c’est Adam tout entier qui, depuis le premier homme jusqu’au dernier, peut être refait « enfant de Dieu ».

Quelle est donc l’originalité de l’initiation chrétienne par rapport à l’initiation juive ?... elle n’est pas dans l’étude de la Parole de Dieu, on l’a des deux côtés… elle n’est pas dans la participation à la liturgie, et la prière, on l’a des deux côtés… elle n’est pas non plus dans la dimension éthique de la foi, la morale, on l’a des deux côtés… Donc, le bouleversement radical n’est pas dans ces piliers de la catéchèse…
L’initiation juive et l’initiation chrétienne diffèrent sur un point fondamental ! L’initiation chrétienne est l’acheminement vers une personne singulière, vers une rencontre… avec la Torah, certes, mais la Torah vécue par Jésus de Nazareth !... faite chair individuelle, visage, dans la singularité de Jésus de Nazareth !... L’autre point très important aussi, c’est que l’initiation chrétienne va être un acheminement vers une rencontre avec un peuple, certes, mais avec un peuple qui est un réseau, un Corps qui démultiplie, justement, la présence singulière du Christ à l’échelle d’une Eglise…, un peuple qui, faisant corps avec la Tête personnelle, en développe les potentialités… Et enfin aussi, l’acheminement vers la rencontre avec le Christ nous fait découvrir un lieu liturgique, un Temple, qui n’est plus une bâtisse, - d’ailleurs elle est détruite - mais qui est un corps vivant, un corps sacramentel… et où le sacrifice, ce n’est plus nous qui nous offrons de manière sacerdotale, mais c’est le Verbe de Dieu fait chair en Jésus qui s’offre lui-même, en victime et en grand prêtre… Donc, l’originalité de l’initiation chrétienne, c’est vraiment le renversement de l’initiation juive, ou comme on dit, l’accomplissement de l’initiation juive mais cette fois-ci centrée différemment… centrée sur la personne de Jésus dit Christ…

Et cette personne est décentrée elle-même ! cette personne ne s’arrête pas à elle-même… Le contenu de la catéchèse et de l’initiation chrétienne, ça n’est pas seulement la transmission d’un contenu christologique !... La rencontre avec Jésus Christ, mort, dont on fait mémoire, et ressuscité au milieu de nous, donnant ses signes de présence dans son corps… cette rencontre avec cette personne ne s’arrête pas à elle-même : elle nous achemine vers le Père… Et finalement, celui qui nous initie, c’est le Christ !... c’est Lui le catéchète !... le Fils initié en humanité, c’est Lui, et l’initiateur au mystère du Père, c’est Lui !...
Ceci est dit et redit dans tous les traités qui parlent du catéchuménat, de la catéchèse… depuis un des premiers petits traités, qui est d’ailleurs une petite perle de pédagogie, c’est le De Catechizandis Rudibus (« Comment catéchiser les débutants ») de saint Augustin, jusqu’à la Lettre Apostolique de Jean-Paul II, Catechesi Tradendae, où il nous dit d’emblée « attention ! ce n’est pas nous qui faisons de la catéchèse !… Le catéchète conduit au Catéchète par excellence qui est le Christ lui-même ! »
Alors, nous sommes d’une certaine façon acheminés vers une initiation un peu étrange quand même !... Il nous faut acheminer vers Jésus des gens, qui désirent le connaître, parce qu’ils ont été touchés par Lui ; ce qu’on a dit de Lui rejoint leur vie, les a bouleversés ; il y a eu un choc à partir duquel ils demandent à le connaître un peu mieux… et donc nous allons les initier à quelqu’un… mais... ce quelqu’un ne va pas parler de lui-même !... Il va parler de quelqu’un d’autre… Il va les conduire au Père… Et quand on lui dit « Maître, sois un maître de prière pour nous, apprends-nous comment prier ! » Jésus ne dit pas « priez-moi » !... il dit « priez Notre Père ! »…
Autrement dit, il nous remet dans l’attitude initiatique par excellence qui est d’acheminer vers le mystère invisible dont cependant nous avons la révélation visible… Voilà le paradoxe ! Nous avons là tout l’art pédagogique chrétien !... Nous sommes vraiment des catéchètes aux petits pieds qui acheminent les commençants à la grande école, et la grande école, c’est le Christ !... Et quand le Christ nous initie, il commence par nous demander les mots ; mais en même temps, il nous initie à une attitude relationnelle avec le Père… Il nous fait entrer dans une attitude où il nous fait tourner vers la source de notre être… « si tu ne renais pas d’en haut… tu ne comprends pas ce qui se passe, tu ne comprendras pas le Royaume »… Quand Jésus initie ses disciples au Royaume, à ce qu’il faut voir du monde nouveau, il les initie à un nouveau regard vers le Père… comment le Père ré-enfante le monde, ré-enfante les êtres, ré-enfante les contemporains, ré-enfante les enfants, ré-enfante les vieux qui doivent être neufs comme s’ils renaissaient, ré-enfante les théologiens, comme Nicodème, qui doivent tout réapprendre dans le regard de ce maître qui dit « tourne ton regard vers le Père »… Il y a un réapprentissage de tout !... y compris des Ecritures ! y compris de la Torah ! dans le sens où « Dieu redevenant la source de ton être… relis ton histoire à cette lumière-là… Dieu te redonne un être… il ne te donne pas une rallonge à ta vie, non ! mais il te redonne bien plus que ça !... il te redonne le Saint Esprit, recréateur de ton être !... Toi, tu demandais du pain, est-ce qu’on t’a donné un caillou ? tu demandais un œuf, est-ce qu’on t’a donné un serpent ?... alors, combien plus, quand tu demandes dans le Notre Père « Que ton règne vienne », qu’est-ce qu’il va te donner, Dieu ? comment est-ce qu’il va te montrer le règne ? comment est-ce qu’il va te montrer son action au milieu de nous ?... en ré-enfantant ton être par son souffle !... il va te donner de lui en ré-enfantant ton être… » Mais qui nous dit ça ?... quelqu’un qui a fait l’expérience lui-même, avant nous ! c’est-à-dire l’enfant qu’est Jésus ! le Fils de Dieu ! l’enfant de Dieu, le Fils bien-aimé du Père… « écoutez-le ! »… En écoutant la manière dont il lit les Ecritures, la manière dont il lit les événements, la manière qu’il a d’accueillir les gens, et en particulier les pécheurs, la manière qu’il a d’accueillir les hors-la-loi… en l’écoutant prier, en l’écoutant affronter les détracteurs, les adversaires… en le regardant accueillir les enfants, qui sont de petites paraboles vivantes de ce qu’on devrait être : ré-enfantés… on commence à deviner, grâce à lui, grâce à ce signe charnel au milieu de nous, à quelle hauteur nous sommes attendus, à quelle profondeur on est refaits… Il faut réapprendre tout à sa manière ! Et c’est parce qu’il le vit de l’intérieur, parce qu’il vit dans le fond de son être ce qu’il nous dit, parce qu’il est ré-enfanté tous les jours d’en haut, parce qu’il se reçoit d’en haut jusque dans sa chair la plus profonde, jusque dans son corps biologique… qu’il peut nous hisser à cette hauteur-là !... Il dit « c’est pour toi que je vis ça ! le Père me ré-enfante pour que tu sois ré-enfanté !... »
C’est la grande initiation !!!...

5. Etre initié, c’est être acheminé vers ce qu’on est dans le regard de Dieu

Donc, avant une initiation à une manière chrétienne de lire la Bible, avant une initiation à une manière chrétienne de célébrer, avant une initiation à une manière chrétienne d’être charitable, de jouer le rôle du Roi, du Prophète, du Prêtre… avant tout ça, il y a le don de l’Esprit Saint !... le don d’un nouveau souffle qui nous ré-enfante… « personne ne vient à moi si l’Esprit ne l’attire, si mon Père ne l’attire par son souffle »… Donc, il y a un travail de l’Esprit qui précède la catéchèse… il y a un travail de l’Esprit qui fait que les gens ouvrent la porte… Et nous, on est témoins … on n’est pas propriétaire de ce qui se passe !... on est témoins admiratifs d’un climat… La manière qu’a Jésus d’initier ses disciples, c’est d’installer un climat. Il n’invente rien, la religion juive est sublime, elle est déjà toute là, seulement la manière dont il la vit nous la fait comprendre, nous la fait vivre comme ré-enfantés tous les jours… ré-enfantés dans notre manière de vivre, dans notre manière de pratiquer, dans notre manière de rencontrer, d’entrer en solidarité avec les autres… Donc, avant l’initiation, au sens strict, modélisé du terme, il y a l’initiation de l’Esprit Saint !... l’initialisation des êtres par un souffle… Il y a un assouplissement de la situation de cet être, un climat installé, qui fait que les êtres - qui se laissent faire ! librement ! parce qu’il y a un grand mystère dans l’ouverture ! - et bien tout d’un coup ça y est, c’est en train de se produire et ça appelle à une prise en relais du maître lui-même et de sa communauté qui tombent en admiration devant ce qui se passe dans ce cœur : « Je n’ai jamais trouvé une foi pareille en Israël ! »… Tout d’un coup le déclic s’est fait et alors, le maître prend par la main celui qui frappe à la porte et l’achemine vers la rencontre avec le Père…
Mais comment voulez-vous repérer ça, si vous ne vivez pas de ça ?... Or, précisément, le Verbe fait chair nous fait entrer dans cette nouvelle vue, dans cette ’’double-vue’’ qui fait que nous repérons le travail de l’Esprit envoyé par le Père pour guérir et sauver tous les hommes.
Evidemment, cette expérience-là, il se trouve, malheureusement, qu’elle a été mise en échec par un refus des autorités qui avaient la charge pastorale d’organiser l’Eglise de l’époque. Et en même temps, c’est de ce fait-là, le fait de la croix, que nous comprenons, non pas la ’’perfidie des Juifs’’ !... mais le risque de Dieu !... Dieu, qui est Père invisible de toute créature à qui il donne sa Torah intime, s’investit à perte. Il va jusqu’à incarner sa Parole intérieure pour nous dire « tu es enfanté par le ciel ; regarde, le premier-né de toute créature comme il se laisse ré-enfanter par le Père dans son souffle ! mon souffle te ré-enfante ; laisse-toi refaire et tu comprendras »…
Cela nous ouvre à la possibilité de librement accepter, mais en même temps de refuser ! C’est un sacré risque que Dieu prend ! Et donc, l’initiation qui vient de lui désormais, le risque qu’il prend est dangereux, pour lui d’abord !... Il nous initie, mais en nous initiant, il en meurt ! humainement… Jamais on n’avait pensé qu’un initiateur pouvait mourir d’avoir initié quelqu’un… c’est dangereux d’initier !... Et c’est pourtant ce qui arrive au Verbe même de Dieu qui, nous faisant entrer dans un nouveau niveau de profondeur de l’initiation, se voit mis en échec et empêché d’aller plus loin… institutionnellement… « la bonne religion ne peut admettre une telle folie !... ce n’est pas possible que Dieu prenne ce risque de l’incarnation… de révéler la dignité divine de chaque être… au péril de sa présence humaine et de son désir d’y parvenir ! »
Risque pris par Dieu en nous initiant à ça, et en même temps révélation du jusqu’où il peut aller pour nous faire entrer dans sa communion… jusqu’à se laisser piéger !… Donc l’initiation va nous acheminer vers la mémoire, le mémorial de ce moment où il s’est laissé piéger, c’est-à-dire [où il est] plongé dans la mort… et en même temps plongé dans le dessein qui ressuscite les êtres abandonnés dans le regard du Père… C’est ce qu’on appelle la Résurrection !... Mais la Résurrection n’est pas une ’’revanche’’ sur des Juifs qui se seraient trompés !... C’est l’insistance discrète d’un Dieu mis en échec dans le signe de sa tendresse et de son pardon, qui va jusqu’à ne pas retourner la violence qu’on lui fait contre ses bourreaux… Ce qui se révèle par là est bien jusqu’où il peut aller pour nous ressusciter… Et dans ce signe-là, nous sommes initiés à notre capacité divine… capacité d’être enfantés par Dieu, d’être divinisés… par adoption !... On est adoptés par Dieu… Et on sait ce que ça coûte d’adopter ! C’est déjà difficile d’enfanter, mais quand on adopte !... Mais c’est le risque que Dieu prend ! et en même temps, c’est la joie qui gagne !... On est plongé dans l’amour, et la résurrection de l’amour, au-delà même de l’échec qu’on lui a infligé…
Il faut qu’on aille jusque là pour initier ! Enfin, c’est pas nous qui initions ! c’est Lui... avec son corps, son réseau qui va prolonger ses gestes, son témoignage, ses paroles… qui va nous faire confiance en nous confiant son Esprit, son souffle… Au travers des misérables petits services qu’on peut rendre en communauté, en Eglise, dans nos ministères respectifs… Il est là, et il demeure le catéchète et l’initiateur de nos existences, en payant de sa personne… C’est pour ça qu’une initiation que se ferait uniquement au niveau rituel ne veut rien dire ! une initiation que se ferait uniquement au niveau de la culture ne veut rien dire ! une initiation qui se ferait uniquement au niveau sociologique d’intégration à une communauté ne veut rien dire ! une initiation que se ferait uniquement au niveau moral ou spirituel, détaché de toute évocation du mémorial du Christ ne veut rien dire !... Il faut que tous ces ingrédients fassent la sauce, mais qui fait prendre la sauce ? L’Esprit Saint… et le catéchète qu’est Jésus, dans son Eglise, et qui nous introduit petit à petit à cette attitude où nous recevons notre être du Père, dans le souffle de son Esprit, et comme héritiers, fils adoptifs de Dieu… « par Lui, le Verbe incarné, avec Lui et en Lui » on devient ce qu’on est déjà dans le cœur de Dieu… Finalement l’initiation nous initie à ce que nous sommes déjà !... Ce n’est pas un nouvel être !... c’est l’être le plus profond qui soit, c’est l’être attendu par le Père !... Cela nous lave du péché originel ! Dans le cœur du Père, on est pas faits pour être des pécheurs… on est faits pour être des saints ! pour être des aimés !... et pour correspondre à cet amour… Celle qui va dire ça merveilleusement, c’est la Sainte Vierge ! l’Immaculée Conception ! qui nous révèle notre véritable nature humaine, qui est d’être sans péché, dans le regard de Dieu évidemment, et en considération de ce que le Christ va installer comme monde nouveau par le don de sa vie humaine ! On n’est donc pas fait pour être cassés et se casser soi-même ! on n’est pas fait pour être tordus !... On est fait pour être droits ! libres ! libres de dire oui, libres de dire non !... comme la Sainte Vierge à l’Annonciation et au pied de la croix, et au jour de Pentecôte ! Faut-il qu’elle collabore mystérieusement pour nous aider à nous mettre en route vers ce nouvel accouchement.

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Jean-Marie BEAURENT

Prêtre du diocèse de Cambrai, directeur de l’Institut international foi art et catéchèse (†2009).

Publié: 01/07/2015