Dans la rue...

Les allées et venues dans la ville sont l’occasion de croiser de multiples visages. Il y a ceux que nous voyons toujours aux mêmes heures, aux mêmes lieux. Pas d’échanges de paroles mais des regards. Sans connaître son nom et son prénom, sans savoir qui elle est, nous disons : « C’est la dame que je croise tous les matins, au coin de la rue, avant l’ouverture des boutiques. » Banalité des choses de la rue ou mystère de la relation ? Cette question me vient à l’esprit alors que je lis une citation d’un Père de l’Église, Clément d’Alexandrie : « Tu as vu ton frère, tu as vu ton Dieu. »

Bien des années plus tard, le philosophe juif Emmanuel Lévinas fait un peu la même approche de la morale basée sur le visage. Il remarque que ce que nous exposons au regard de l’autre, dans sa nudité, c’est notre visage. Il parle d’une pauvreté essentielle qu’on essaie de masquer parfois en se donnant des poses, en maquillant ce qui porte bien souvent les marques de la vie et de ses blessures. Habité de sa foi, il écrit : « Dans le visage d’autrui, Dieu me parle. Dans la proximité d’autrui, Il se fait proche. »

Dimension peu ordinaire que “cette rencontre quotidienne et banale des visages”, lorsqu’elle prend toute sa dimension spirituelle. Pour un croyant en quête de son Dieu, un chemin s’ouvre : Dieu sort de son incognito dans le visage de l’homme, de la femme qui devient visage du frère. Chemin exigeant, car nous ne pouvons pas nous contenter de “dévisager” l’autre ; il nous faut “l’envisager” et faire de lui une personne présente. Quand Clément d’Alexandrie parle de “voir le frère”, il invite certainement à aller au cœur du mystère de la personne, de ce qu’elle est dans son intimité et que notre regard doit respecter.

Le visage de celui qui devient frère par mon regard n’est jamais le même : à chaque rencontre il me dit quelque chose de différent. Encore faut-il que je ne l’aie pas définitivement catalogué, étiqueté, emprisonné, au point de n’avoir plus rien à me dire. Pour celui qui n’est pas croyant, s’il ne peut nommer Dieu dans son “aventure” de la rue, il perçoit bien que le regard qu’il porte sur l’autre, tout comme les regards qui se posent sur lui, peuvent ouvrir à la fraternité humaine. N’est-ce pas, comme dit Lévinas, “une épiphanie”, c’est-à-dire une manifestation tout autant de la grandeur de l’homme que de celle de Dieu ?

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Michel AMALRIC

Prêtre du diocèse d’Albi, chargé de la communication.

Publié: 01/03/2014